CE, 13 juin 2022, commune de Saverne, n° 437160

Dans un arrêt du 13 juin 2022, le Conseil d’Etat, après avoir rappelé que la responsabilité sans faute était un fondement de responsabilité d’ordre public qui devait être soulevée d’office par la juridiction saisie, a jugé que la responsabilité sans faute de la commune pouvait être recherchée du fait de la renonciation à l’exercice de ce droit, alors même que les décisions de préemption puis, de renonciation à l’exercice de ce droit, étaient légales.

Responsabilité pour faute ?

Dans cette affaire, la commune de Saverne avait exercé le droit de préemption urbain le 28 août 2012, sur un bien immobilier composé d’un ancien hôtel pour un prix de 800 000 euros, après réception d’une déclaration d’intention d’aliéner pour un montant de 1 095 000 euros. Le juge de l’expropriation en vue de la fixation judiciaire du prix a été saisi et fixait le prix de ce bien à 915 573,90 euros, par un jugement du 17 mai 2013, soulignant la dégradation déjà avancée du bien.

La commune de Saverne, considérant le prix fixé par le juge de l’expropriation, trop élevé décidait de renoncer à la préemption. Elle informait la société de sa décision le 17 juillet 2013. Dix jours plus tard, la société proposait à la commune d’acquérir le bien pour la somme de 800 000 euros, somme initialement proposée par la commune. Proposition que la commune déclina.

De nouvelles dégradations consécutives à la présence d’occupants illégaux et le pillage du mobilier eurent eu lieu entre juillet et août 2013. Une adjudication infructueuse de l’hôtel a eu lieu le 16 mai 2014 pour un montant de 500 000 euros. La société finit par vendre son bien, de gré à gré, pour un montant de 400 000 euros, le 7 août 2014.

Saisi, par la société, d’une demande d’indemnisation sur le fondement de la responsabilité pour faute de la commune, dans un jugement du 28 juin 2018, le Tribunal administratif de Strasbourg retenant la faute de la commune condamna celle-ci au paiement de la somme de 436 669,86 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation, au motif de l’illégalité de la décision de préemption.

La commune de Saverne et la société ont fait appel dudit jugement. Par un arrêt du 24 octobre 2019, la Cour administrative d’appel de Nancy a annulé le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg, écartant toute illégalité des décisions de préemption et de renonciation et rejetait les conclusions indemnitaires de la société.

Ou responsabilité sans faute ?

Par une décision du 30 décembre 2020, le Conseil d’Etat a refusé d’admettre le pourvoi en tant qu’il portait sur la responsabilité pour faute de la commune. Il l’a en revanche admis s’agissant de la responsabilité sans faute, la société reprochant à la cour de ne pas l’avoir soulevée d’office. Il a, à cet égard, pour annuler l’arrêté de la Cour administrative d’appel de Nancy, considéré que : « la société Immotour a subi, du fait des décisions de préemption et de renonciation de la commune de Saverne, un préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial et doit être regardé comme excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine, sans que d’autres circonstances, notamment le fait que la société n’ait mis en place un dispositif de gardiennage de l’immeuble qu’à compter de septembre 2013, soient de nature, dans les circonstances particulières de l’espèce, à écarter totalement la responsabilité de la commune ».

Au regard de ces éléments, il a considéré que la cour ne pouvait, sans entacher son arrêt d’une erreur de droit, s’abstenir de relever d’office le moyen tiré de ce que la responsabilité sans faute de la commune était engagée à l’égard de la société, alors qu’il ressortait des pièces du dossier soumis au juge du fond que les conditions d’une telle responsabilité étaient réunies.

Statuant au fond, le Conseil d’Etat a condamné la commune à indemniser la société au motif que : « 5. Eu égard au caractère suffisamment probable de la vente initialement prévue pour un prix de 1 095 000 euros, au prix fixé par le juge de l’expropriation à 915 573,90 euros et au prix de 400 000 euros auquel le bien a été cédé un an après ainsi que des caractéristiques hôtelières du bien en cause et du marché immobilier local, il sera fait une juste appréciation de la part des préjudices excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter les vendeurs de terrains situés en zone urbaine, subie par la société du fait de la renonciation par la commune à l’exercice du droit de préemption, en la fixant à 250 000 euros. Toutefois, l’abstention de la société à prendre des mesures destinées à assurer le gardiennage de son bien avant le mois de septembre 2013 doit être regardée comme une imprudence dans l’appréciation des risques de nature à exonérer la commune d’une partie des conséquences dommageables de la renonciation à la préemption, qui doit être évaluée à 100 000 euros. Par suite, il y a lieu de condamner la commune de Saverne à verser à la société Immotour une somme de 150 000 euros, assortie des intérêts au taux légal, calculés à partir de la demande d’indemnisation préalable reçue le 13 avril 2015 par la commune de Saverne et capitalisés à compter du 13 avril 2016, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière. »

Evelise PLENET