L’article L. 52-8 du Code électoral prohibe tout don d’une personne morale à un candidat. Dans les deux affaires tranchées par le Conseil d’État, relatives aux élections municipales de Trappes, le 18 août 2021, celui-ci constate la violation de l’article L. 52-8, mais en tire des conséquences différentes en ce qui concerne le résultat des élections et le compte de campagne du candidat.

 

Conseil d’État, 18 août 2021, nos 449592 et 449593

 

1. Lors de la campagne électorale pour les élections municipales, il était reproché au candidat tête de liste d’avoir fait distribuer, par une association dont il était le président, 15 000 masques à la population, accompagnés d’une notice sur laquelle figurait une photographie de lui-même, identique à celle utilisée sur ses documents et affiches de propagande électorale pour les élections municipales.

 

Par un jugement du 2 février 2021, le tribunal administratif de Versailles avait annulé ces opérations électorales.

 

L’article L. 52-8 du code électoral dispose que :

« Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. »

Le Conseil d’État a considéré que cette distribution par l’association « a permis d’assurer la promotion de la candidature de M. D. aux élections municipales […] Ces distributions, qui n’ont donné lieu à aucune rétribution de l’association de la part du candidat, doivent être regardées comme constituant un don consenti à celui-ci par une personne morale, en méconnaissance des prescriptions de l’article L. 52-8 du code électoral ».

 

Le Conseil d’État en tire la conséquence suivante :

« Eu égard au nombre d’électeurs ainsi susceptibles d’avoir reçu des masques associés à l’image de ce candidat, à l’importance que présentait pour la population, à cette période, une distribution de masques et au retentissement favorable qui en a nécessairement découlé sur l’image de M. D…, lequel a régulièrement communiqué sur les opérations menées par l’association, cette irrégularité est de nature, compte tenu de l’écart de 161 voix séparant les deux listes arrivées en tête du second tour, à avoir altéré la sincérité du scrutin ».

 

Dès lors, dans cette première décision, le Conseil d’État a confirmé le jugement du tribunal administratif de Versailles, qui avait annulé les opérations électorales.

 

2. Le tribunal administratif de Versailles avait, par ailleurs, été saisi par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP), en application de l’article L. 52-15 du code électoral, qui dispose que :

« La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l’article L. 52-11-1.

[…]

Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n’a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l’élection. »

 

Pour les mêmes faits (c’est-à-dire, la distribution de masques accompagnée de la photo du candidat, considérée comme une participation au financement de la campagne électorale par une personne morale en violation de l’article L. 52-8), la CNCCFP avait rejeté le compte de campagne. Le tribunal administratif de Versailles, saisi par la CNCCFP, avait confirmé ce rejet, annulé son élection en qualité de conseiller municipal de la commune de Trappes et déclaré inéligible le candidat à l’origine de la distribution.

 

Le Conseil d’État, a considéré que cette distribution, constituait bien un don consenti par une personne morale au candidat, mais a jugé que :

« Il résulte de l’instruction, et en particulier des factures fournies, que le coût global de la fabrication des 15 000 masques en litige par des bénévoles de l’association  » Cœur de Trappes  » s’élève à environ 4 300 euros. Ces masques ont été distribués par lots de 2, 4 ou 10. Sur les 4 000 notices d’utilisation destinées à accompagner ces lots de masques, seuls 800 comportaient la photographie du candidat. Le nombre de masques dont la distribution peut être regardée comme contribuant à la campagne de M. C… se situe ainsi entre 1600 et 8000, pour un coût qui ne saurait excéder 2 293 euros. Il résulte également de l’instruction, et en particulier des factures fournies, que le coût de réalisation des kits pédagogiques et ludiques distribués avec la photographie de M. C… peut être évalué à 1 213 euros. Il en résulte que le montant du don consenti en nature par l’association  » Cœur de Trappes  » à M. C… s’élève au maximum à environ 3 500 euros.

Eu égard à la relative modicité de l’avantage ainsi consenti, qui représente au maximum 7,11 % des dépenses de campagne et 4,6 % du plafond des dépenses autorisées, M. C… est fondé à soutenir que c’est à tort que, dans les circonstances de l’espèce, le tribunal administratif de Versailles a jugé que son compte de campagne avait été rejeté à bon droit par la CNCCFP. »

 

Ainsi, dans cette seconde décision, le Conseil d’État considère que pour les mêmes faits ayant entrainé l’annulation des opérations électorales dans sa première décision, la modicité de l’avantage consenti ne pouvait entrainer le rejet du compte de campagne, l’inéligibilité du candidat et l’annulation de son élection en tant que conseiller municipal.

 

Le Conseil d’État précisant que « ni l’article L. 52-15, ni aucune autre disposition législative n’obligent la CNCCFP à rejeter le compte d’un candidat faisant apparaître qu’il a bénéficié de la part de personnes morales d’un avantage prohibé par l’article L. 52-8. Il appartient à cette dernière, sous le contrôle du juge de l’élection, d’apprécier si, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles le don a été consenti et de son montant, sa perception doit entraîner le rejet du compte. »

 

Bilan, les élections municipales sont bien annulées au regard de la violation de l’article L. 52-8 du Code électoral, mais malgré cette irrégularité, le compte de campagne du candidat est validé et il reste éligible … pour le nouveau scrutin à venir.