Conseil d’Etat, 4 février 2025, n°494180
Le Conseil d’Etat continue de préciser sa jurisprudence sur les impacts des demandes de pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction des autorisations d’urbanisme.
Le Conseil d’Etat avait en effet estimé qu’une demande de pièces complémentaires, de pièces non exigibles en vertu de la liste limitative de l’article R. 431-4 du code de l’urbanisme, devait être regardée comme irrégulière, ce qui avait pour effet de ne pas interrompre ou modifier le délai d’instruction de la demande de permis de construire (Conseil d’Etat, 9 décembre 2022, n°454521 ; voir notre analyse cf. Demande irrégulière de pièces complémentaires et naissance d’autorisation tacite – Itinéraires avocats). Ce revirement de jurisprudence a entrainé une instabilité juridique de nature à faire naître de nombreux contentieux sur les décisions de refus prises après qu’une demande de pièces complémentaires illégale soit intervenue (le refus devant être alors regardé comme un retrait et donc intervenu irrégulièrement faute de procédure contradictoire préalable).
Par un arrêt du 24 octobre 2023 n° 462511, le Conseil d’Etat, tout en rappelant, le principe dégagé par l’arrêt précité, il ajouté les précisions suivantes : S’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité d’une décision refusant une autorisation d’urbanisme. Une lettre majorant le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’est pas une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Par l’arrêt du 4 février 2025, le Conseil d’Etat est venue apporter une nouvelle précision.
Le Tribunal administratif de Nice (TA de Nice, 25 avril 2024, n°2401582) avait été saisi d’un référé suspension d’une décision de refus de permis de construire afin de régulariser la construction illégale d’une extension sans autorisation.
Le maire de la commune, considérant incomplet le dossier de demande de permis de construire, avait réalisé une demande de pièces complémentaires afin d’obtenir la production de la copie de la lettre du préfet relatif au défrichement de la parcelle ainsi que la superficie exacte située en zone UD des parcelles du pétitionnaire.
Le Tribunal a d’abord estimé que la superficie en zone UD ne faisait pas partie des pièces pouvant être exigées en application de l’article R. 431-4 du code de l’urbanisme.
Puis, si la lettre du préfet était un document pouvant être demandé au titre de l’article R. 431-9 du code de l’urbanisme, le terrain n’était pas situé dans une zone pouvant être concernée par l’obtention d’une autorisation de défrichement.
Le juge des référés avait alors considéré que ces éléments étaient de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité de la décision.
Le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés en considérant que si une pièce complémentaire peut être demandée en vertu de l’article R. 431-4 du code de l’urbanisme, le fait qu’elle serait inutile à l’instruction du dossier est sans incidence sur le fait que celle-ci est bien de nature à faire obstacle à la naissance d’un permis de construire tacite à l’expiration du délai d’instruction.
« Pour retenir l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué, le juge des référés s’est fondé sur l’illégalité de la demande de pièces complémentaires adressée le 5 juin 2023 à M. A… B…, portant, d’une part, sur la production d’une copie de la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire et, d’autre part, sur la superficie exacte située en zone UD de ces parcelles. Toutefois, si la demande relative à la superficie exacte située en zone UD des parcelles ne porte pas sur une des pièces mentionnées au livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme, la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire est mentionnée à l’article R. 431-19 du code de l’urbanisme et fait ainsi partie des pièces qui peuvent être exigées en application du livre IV de la partie réglementaire de ce code. La demande relative à cette lettre faisait donc obstacle en l’espèce à la naissance d’un permis tacite à l’expiration du délai d’instruction et à ce que la décision de refus de permis de construire en litige soit regardée comme procédant illégalement au retrait d’un tel permis tacite. Par suite, le juge des référés a, en jugeant le contraire, commis une erreur de droit. ».
Ainsi, une demande de pièces complémentaires prévues par le code de l’urbanisme, quand bien même elle serait inutile pour l’instruction du dossier, a pour effet de prolonger le délai d’instruction et fait obstacle à la naissance d’une décision implicite d’acceptation.
Léa MIQUEL
Stagiaire