Pendant l’état d’urgence sanitaire, la possibilité pour le maire de faire usage de ses pouvoirs de police générale pour lutter contre la crise sanitaire est strictement encadrée.

 Conseil d’Etat, ord., 17 avr. 2020, n° 440057

Par un arrêté en date du 6 avril 2020, le maire de Sceaux a subordonné les déplacements dans l’espace public de la commune des personnes âgées de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal ou toute protection couvrant le nez et la bouche. La Ligue des Droits de l’Homme a introduit un référé-liberté à l’encontre de cet arrêté estimant qu’il portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir notamment.

Par une ordonnance en date du 9 avril 2020, le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise a suspendu l’exécution de cet arrêté (TA Cergy-Pontoise, ord., 9 avr. 2020, n° 2003905). C’est le jugement contesté par la Commune de Sceaux.

Dans son ordonnance, le Conseil d’Etat juge que l’instauration de l’état d’urgence sanitaire par la loi du 23 mars 2020 a eu pour effet d’instituer une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat la compétence pour prendre les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire afin d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation.

Si le maire peut faire usage de ses pouvoirs de police générale en période d’état d’urgence sanitaire, notamment pour la bonne application des mesures décidées par les autorités compétentes, le Conseil d’Etat considère que :

« En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat. »

Par cette décision, le Conseil d’Etat encadre de façon stricte la possibilité pour le maire de prendre des mesures de police générale pour lutter contre l’épidémie. De telles mesures peuvent être prises à la double condition :

  • qu’elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune,
  • qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale.

En l’espèce, le Conseil d’’Etat estime que cette double condition n’est pas remplie dans la mesure où, d’une part, la concentration des commerces de première nécessité dans un espace réduit, ne saurait être regardée comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales justifiant une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection et, d’autre part, l’édiction, par un maire, d’une telle interdiction est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes, à savoir les règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2.

En outre, le Conseil d’Etat relève que l’arrêté du maire du Sceaux est susceptible d’induire en erreur les habitants en laissant croire qu’une protection couvrant le nez et la bouche peut constituer une protection efficace.

En conclusion, l’arrêté contesté du maire de Sceaux est considéré comme portant à la liberté d’aller et venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle une atteinte grave et manifestement illégale.

On précisera que d’autres mesures de police générale ont été également suspendues par les juridictions administratives dans le cadre de la procédure de référé-liberté :

  • L’arrêté du maire de Lisieux instaurant un couvre-feux sur le territoire de la commune après 22 heures et avant 5 heures a été suspendu par le Tribunal Administratif de Caen au motif qu’aucune circonstance locale ne justifiait d’imposer des restrictions supplémentaires aux habitants tant au regard du risque de propagation de l’épidémie de covid-19 que de la sécurité publique (TA Caen, ord., 31 mars 2020, n° 2000711),
  • L’arrêté du maire de Saint-Ouen-sur-Seine interdisant le déplacement et la circulation des personnes sur l’ensemble du territoire de la commune entre 19 heures et 6 heures du matin a été suspendu au motif que la seule invocation générale du défaut de respect des règles du confinement dans la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ne saurait être regardée comme une circonstance particulière de nature à justifier une restriction à la liberté de circulation particulièrement contraignante (TA Montreuil, ord., 3 avr. 2020, n° 2003861)

Enfin, à noter que l’arrêté du maire de Sanary-sur-Mer interdisant aux habitants de s’éloigner de plus de dix mètres de leur domicile, qui était visé par plusieurs requêtes en référé-liberté, a été retiré par le maire avant même que le tribunal administratif puisse en examiner la légalité.