Le maître d’ouvrage qui a connaissance de l’intervention sur le chantier d’un sous-traitant, en situation irrégulière, ne doit pas badiner mais plutôt le régulariser (au plus vite).

CE, 6 avril 2022, Société STPFA, n° 451496

 Par acte d’engagement du 12 novembre 2011, la commune de Ceyreste avait confié à la Société de travaux publics forestiers et agricoles (ci-après « STPFA ») l’exécution du lot n°1 d’un marché public de travaux portant sur la construction de courts de tennis et d’un club house.

A la suite de la réception des travaux, la STPFA avait adressé un projet de décompte final au maître d’ouvrage, en y incluant des travaux supplémentaires exécutés à la demande du maître d’ouvrage. Jusque-là, rien que de très classique à l’occasion de l’achèvement d’un marché de travaux public.

Plus étonnant, en revanche, ces travaux supplémentaires correspondaient à des travaux présentant un caractère indispensable à la réalisation de l’ouvrage du lot n°1 (dont la société STPFA était titulaire) mais également à des travaux que la STPFA indiquait avoir réalisés en lieu et place des attributaires des lots nos 2 et 12 ce qui la plaçait « de fait » en situation de sous-traitante des titulaires de ces lots nos 2 et 12.

Le décompte général dressé par la commune de Ceyreste ne satisfaisant pas la STPFA celle-ci avait, en conséquence, demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la collectivité au paiement de la somme de 162 505,63 euros correspondante aux travaux supplémentaires non prévus au lot n°1 mais aussi par les lots nos 2 et 12.

Par un jugement du 21 septembre 2017, le tribunal administratif avait limité le montant de l’indemnité due au titre des travaux supplémentaires à la somme de 6 612 euros.

Puis, par une décision du 8 février 2021, la cour administrative d’appel de Marseille avait réformé ce jugement et condamnée la commune de Ceyreste au paiement de la somme de 71 229,60 euros, laquelle n’incluait pas les indemnités sollicitées au titre des travaux réalisés en lieu et place des attributaires d’autres lots.

En effet, la cour administrative d’appel de Marseille avait considéré que :

« Toutefois, à défaut de droit au paiement direct, la STPFA n’est pas fondée à demander à la commune de lui payer les prestations qu’elle a exécutées et qui ont été en tout état de cause payées à l’entreprise Eurovia. Enfin, la STPFA n’allègue pas que le maître d’ouvrage aurait commis une faute dans la direction du marché qui serait en lien avec le préjudice qu’elle invoque et elle n’établit pas avoir été dans l’impossibilité de recouvrer la somme qui lui est due par l’entreprise titulaire du lot n° 12. Dès lors, ces travaux supplémentaires, qui ne présentaient pas un caractère indispensable à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art, exécutés sans ordre de la maîtrise d’œuvre, ne sauraient faire l’objet d’une indemnisation alors même que le maître d’œuvre et le maître d’ouvrage avaient connaissance de l’intervention de la STPFA. »

Or la STPFA soutenait également, devant la cour administrative d’appel, que la commune de Ceyreste avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en s’abstenant en qualité de maître d’ouvrage, de faire régulariser la situation de sous-traitant dans laquelle elle se trouvait (puisqu’il lui avait été demandé de réaliser une partie des travaux relevant d’autres lots que le sien).

C’est dans ce contexte que le Conseil d’État était amené à se prononcer.

A cet égard, on rappelle que l’article 3 de la loi du 31 décembre 1975 impose à l’entrepreneur de faire accepter chaque sous-traitant et de faire agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitant par le maître d’ouvrage. En outre, l’article 5 de cette même loi, prévoit que si en cours d’exécution du marché, l’entrepreneur principal peut faire appel à de nouveaux sous-traitants, il est néanmoins tenu de les déclarer préalablement au maître de l’ouvrage.

Il est, par ailleurs, important de rappeler que, dans une décision du 2 décembre 2019, le Conseil d’État avait déjà admis la responsabilité du maître d’ouvrage lorsque le sous-traitant réalise des prestations pour un montant supérieur à celui indiqué dans le marché ou l’acte spécial (CE, 2 décembre 2019, Société Ysenbaertn, n°422307, aux Tables).

Au cas présent, tirant les nécessaires conséquences de la loi et de la jurisprudence précitées, le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel de Marseille, qui avait pourtant relevé que la STPFA avait agi en qualité de sous-traitante des entreprises titulaires des lots nos 2 et 12, était tenue de se prononcer sur le moyen relatif à la responsabilité de la commune de Ceyreste, dès lors qu’un tel moyen n’était pas inopérant.

En conclusion, si cette décision n’apporte pas d’éléments réellement nouveaux quant aux obligations du maître d’ouvrage à l’égard du sous-traitant, elle permet néanmoins de rappeler qu’un manquement à ces obligations en la matière est susceptible d’engager la responsabilité du maître d’ouvrage qui n’a donc pas intérêt à fermer les yeux lorsqu’ils a connaissance de l’intervention sur le chantier d’un sous-traitant non-déclaré ou du fait qu’un sous-traitant déclaré a dépassé le montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct.