Si la Cour de Cassation (Cass, ch. civ 3, 17/09/2020, n°19-16937) se montre réticente à l’indemnisation des voisins de champs éoliens, en considérant que « nul n’a de droit acquis à la conservation de son environnement et que le trouble du voisinage s’apprécie en fonction des droits respectifs des parties » et en refusant d’indemniser « une dépréciation des propriétés concernées évaluée entre 10 % et 20 % » car cette dépréciation ne dépassait pas « les inconvénients normaux du voisinage, eu égard à l’objectif d’intérêt public poursuivi par le développement de l’énergie éolienne », en revanche, la Cour d’Appel de Toulouse se montre plus généreuse.

En 2020 (CA Toulouse, 9/03/2020, n°17/04106), elle avait déjà accordé une indemnisation conséquente aux voisins d’un parc éolien, et elle vient (CA Toulouse, 8/07/2021, n°20/01384) de confirmer sa position pour un parc éolien situé dans le Tarn.

 

Sur la Commune de Fontrieu, au sein du parc naturel du Haut Languedoc, les demandeurs étaient propriétaires d’une maison d’habitation et d’un gîte rural depuis 2006. Ils ont acquis ces bâtiments en sachant qu’un projet de parc éolien était prévu à proximité, pour lequel un arrêté préfectoral a été délivré le 7 mars 2005. Six éoliennes ont été implantées en 2008 et 2009, la plus proche étant à 700 mètres de leur propriété, la plus lointaine à 1300 mètres.

Le couple a commencé à ressentir divers troubles de santé en 2013, pour lesquels ils ont consulté des médecins : nausées, troubles du sommeil, douleurs thoraciques et abdominales, anomalies du rythme cardiaque… Leur médecin traitant ne relevait aucun antécédent, et leur a conseillé de déménager, ce qu’ils ont fait en mai 2015. Leurs symptômes ont disparu début 2016.

Le couple a assigné les deux sociétés exploitantes du parc devant le TGI de Castres, afin d’engager leur responsabilité et d’obtenir la réparation de leurs préjudices, au titre des troubles anormaux du voisinage.

Les premiers juges, après avoir ordonné une expertise acoustique, ont rejeté les demandes des requérants, et ce en dépit du fait qu’ils avaient reconnu la réalité des troubles invoqués, mais ne reconnaissaient pas leur caractère anormal, et retenaient que le lien de causalité n’était ni direct, ni certain.

 

Les requérants ont fait appel devant la Cour d’Appel de Toulouse, qui a partiellement fait droit à leurs demandes.

 

La Cour a rappelé que la mise en œuvre de la responsabilité dans le cadre du trouble anormal de voisinage nécessite la démonstration du caractère anormal du trouble invoqué, qui est à la charge du demandeur. Il n’est pas nécessaire de démontrer la faute de l’auteur. Le fait que des normes soient respectées, que l’activité soit licite et utile pour la collectivité n’empêche pas la reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage. Elle précise ainsi que :

« L’anormalité du trouble s’apprécie in concreto dans sa réalité, sa nature et sa gravité en fonction des circonstances de temps et de lieu, bien souvent eu égard à ses conséquences dommageables pour les voisins le subissant et, en fonction des droits respectifs des parties, le juge devant opérer une balance des intérêts en présence. »

Elle rappelle également, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, que nul n’a un droit acquis à la conservation de son environnement.

 

Impact sonore

Du point de vue des faits, la Cour a souligné qu’actuellement, les très basses fréquences et infrasons n’étaient pas réglementés ; seules les bandes d’octaves de 125Hz à 4000 Hz le sont. Or, les éoliennes émettent de très basses fréquences, qui ont été mesurées dans le cadre d’une l’expertise judiciaire.

L’expert a ainsi retenu, de même que la Cour :

« qu’une réelle gêne sonore peut être ressentie par M. et Mme Y. Cette gêne, caractérisée par l’émergence sonore, est constatée dans les infrasons, les très basses et les basses fréquences (plages de fréquence allant de 6,3 Hz à 200 Hz). La gêne se manifeste quelle que soit la direction du vent. Elle est plus importante en période nocturne, par vent portant de Nord-Ouest et augmente avec la vitesse du vent ‘. ‘Aucune émergence n’est constatée de jour dans les situations de vent contraire’. »

Dans le cadre de l’expertise, toutes les parties avaient consenti aux mesures sans bridage, et des éléments relatifs au bridage de l’éolienne la plus proche de la propriété des demandeurs n’ont été produits qu’en fin d’expertise. Les sociétés exploitantes contestaient de fait les mesures de l’expertise en raison de la possibilité de brider les éoliennes. La Cour a cependant relevé que :

« Toutefois, l’importance de l’émergence sonore est telle que selon l’expert, il est permis de douter des effets du bridage isolé ».

Les demandeurs n’ont par ailleurs aucun moyen d’action sur le bridage ou débridage des éoliennes, cette action étant à la discrétion de l’exploitant. L’éolienne la plus proche n’a, en tout état de cause, été bridée qu’après que les appelants aient déménagé. La Cour a ainsi retenu que c’est bien leur déménagement qui a permis la disparition des symptômes.

Le « syndrome des éoliennes », reconnu notamment par l’académie de médecine et l’ANSES dans des publications de 2017, est un syndrome qui altère la qualité de vie de certains riverains, sans que tous soient systématiquement touchés. Il était par ailleurs souligné par le sapiteur désigné dans le cadre de l’expertise que la durée d’exposition était un facteur important dans l’apparition de ce syndrome.

 

Impact visuel

Si aucune nuisance n’a été retenue du fait du balisage lumineux, il y avait cependant également un impact visuel des éoliennes, particulièrement en hiver lorsque des feuillus de haute tige ont perdu leurs feuilles. La Cour a rappelé que la présence d’un bois qui avait été considéré dans l’étude d’impact du projet comme « un important écran visuel et une mesure d’évitement », a été coupé en 2013. La Cour a ainsi retenu un impact visuel « certain mais modéré ».

 

Elément non négligeable, les sociétés exploitantes n’ont pas produit d’éléments sur l’intérêt énergétique de leur exploitation et sur l’impact du bridage de l’éolienne la plus proche de l’ancien domicile des demandeurs, ce qui n’a pas permis à la Cour de mettre en balance les intérêts en présence. Cet élément a participé à ce que la Cour retienne le caractère anormal du trouble subi et indemnise les demandeurs.