Les députés et les sénateurs requérants et le Président de la République défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

Décision n°2019-780 du 4 avril 2019

L’article 3 insère au sein du code de la sécurité intérieure un article L. 211-4-1 permettant à l’autorité administrative, sous certaines conditions, d’interdire à une personne de participer à une manifestation sur la voie publique. Le quatrième alinéa de cet article L. 211-4-1 lui permet également, dans certains cas, d’interdire à une personne de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée d’un mois.

Les députés requérants soutiennent que cet article contrevient au droit à l’expression collective des idées et des opinions et à la liberté d’aller et venir et à celle de réunion. Ils estiment, d’une part, que cette mesure d’interdiction ne serait pas nécessaire, dès lors qu’une personne ayant suscité des troubles dans une manifestation peut déjà être sanctionnée pénalement par l’autorité judiciaire, le cas échéant par une interdiction de manifester. D’autre part, cette mesure serait disproportionnée compte tenu du champ des personnes auxquelles elle est susceptible de s’appliquer.

Par ailleurs, en permettant qu’une mesure d’interdiction de manifester soit prononcée par l’autorité administrative, de manière préventive, le législateur aurait méconnu les droits de la défense et la présomption d’innocence. Cet article violerait enfin le droit à un procès équitable et le droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu’il autorise, dans certaines hypothèses, l’autorité administrative à notifier l’arrêté d’interdiction de manifester sans respecter un délai préalable de quarante-huit heures entre cette notification et la manifestation. En outre, le quatrième alinéa de l’article L. 211-4-1, qui permet le prononcé d’une interdiction d’une durée d’un mois, contreviendrait au principe de proportionnalité des peines.

Les sénateurs requérants soutiennent également que cet article méconnaît le droit d’expression collective des idées et des opinions, dès lors qu’il permet à l’autorité administrative, en application de critères imprécis, de prononcer une interdiction de manifester pouvant présenter un caractère disproportionné. L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi serait également méconnu au motif que les conditions de prononcé d’une interdiction de manifester seraient imprécises et ambiguës.

S’agissant du quatrième alinéa de l’article L. 211-4-1, les sénateurs font valoir que la possibilité pour le préfet de prononcer une interdiction de manifester sur l’ensemble du territoire pour une durée d’un mois renouvelable serait contraire au droit d’expression collective des idées et des opinions dans la mesure où cette interdiction pourrait s’appliquer à toute manifestation et être renouvelée indéfiniment. En outre, dès lors qu’une interdiction de manifester peut s’accompagner, pour la personne soumise à cette interdiction, d’une obligation de répondre au moment de la manifestation aux convocations de toute autorité désignée par le préfet, il en résulterait aussi une méconnaissance de la liberté d’aller et de venir.

Le Conseil constitutionnel a considéré qu’en application des dispositions contestées, l’autorité administrative peut, par un arrêté motivé, prononcer à l’encontre d’une personne constituant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, une interdiction de participer à une manifestation sur la voie publique. En prévoyant une telle mesure, le législateur a entendu prévenir la survenue de troubles lors de manifestations sur la voie publique et a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.

Ces dispositions confèrent ainsi à l’administration le pouvoir de priver une personne de son droit d’expression collective des idées et des opinions.

Or, la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public nécessaire au prononcé de l’interdiction de manifester doit résulter, selon les dispositions contestées, soit d’un « acte violent » soit d’« agissements » commis à l’occasion de manifestations au cours desquelles ont eu lieu des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ou des dommages importants aux biens. Ainsi, le législateur n’a pas imposé que le comportement en cause présente nécessairement un lien avec les atteintes graves à l’intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l’occasion de cette manifestation. Il n’a pas davantage imposé que la manifestation visée par l’interdiction soit susceptible de donner lieu à de tels atteintes ou dommages. En outre, l’interdiction peut être prononcée sur le fondement de tout agissement, que celui-ci ait ou non un lien avec la commission de violences. Enfin, tout comportement, quelle que soit son ancienneté, peut justifier le prononcé d’une interdiction de manifester. Dès lors, les dispositions contestées laissent à l’autorité administrative une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction.
Par ailleurs, lorsqu’une manifestation sur la voie publique n’a pas fait l’objet d’une déclaration ou que cette déclaration a été tardive, l’arrêté d’interdiction de manifester est exécutoire d’office et peut être notifié à tout moment à la personne soumise à cette interdiction, y compris au cours de la manifestation à laquelle il s’applique.

Enfin, les dispositions contestées permettent à l’autorité administrative d’interdire à une personne, dans certaines hypothèses, de participer à toute manifestation sur la voie publique sur l’ensemble du territoire national pendant une durée d’un mois.

Le Conseil constitutionnel a considéré que « compte tenu de la portée de l’interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 3 est contraire à la Constitution ».