La question des « ralentisseurs » sur les routes fait l’objet d’un contentieux relativement abondant dès lors que les usagers sont fondés à engager la responsabilité des collectivités en cas d’accident matériel ou corporel, si ces ouvrages ne sont pas conformes à la réglementation.

 

Depuis de nombreuses années les ralentisseurs du type « dos d’âne » ou « trapézoïdal » se sont multipliés sur les routes situées en agglomération et en zone où la vitesse est limitée à 30 km/h. Ces deux types de ralentisseurs répondent à une réglementation précise sur le plan technique.

Mais au-delà de ces classiques ralentisseurs « dos d’âne » ou « trapézoïdal », on trouve de plus en plus de « plateaux », « coussins berlinois » ou « places traversantes ».

Si ces dispositifs sont bien mentionnés dans l’Instruction Interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, dans sa version consolidée et que le CEREMA a publié en 2010 un « Guide des coussins et plateaux », ces dispositifs ne sont pas techniquement réglementés, comme c’est le cas pour les « dos d’âne et « ralentisseur trapézoïdal ».

En effet, le décret n° 94-447 du 27 mai 1994, définit clairement ces deux types de dispositifs, tant pour ce qui concerne leurs caractéristiques techniques que sur les conditions de leur implantation.

Les caractéristiques de ces ralentisseurs font l’objet d’une norme (NF P98-300, juin 1994) qui en précise les caractéristiques géométriques et conditions de réalisation.

 

Dans un arrêt du 11 février 2021, la Cour Administrative d’Appel de Lyon (CAA Lyon, 11 février 2021, n° 20LY00724 et 20LY02611) a confirmé le jugement rendu le 17 décembre 2019 par le Tribunal Administratif de Lyon et a considéré que le ralentisseur en cause était de type « trapézoïdal » et irrégulièrement implanté, puisque situé dans une zone ou le trafic est supérieur à 3 000 véhicules par jour, en violation de l’article 3 du décret du 27 mai 1994. La Cour a ainsi confirmé l’injonction faite par le Tribunal à la Commune, soit de procéder à la destruction de l’ouvrage, soit de modifier ce « ralentisseur », en mettant en place « un dispositif de ralentissement non régi par le décret du 27 mai 1994 ».

 

La Cour Administrative d’Appel de Lyon (CAA Lyon, 15 juin 2023, n° 21LY04262) a, en revanche, dans une autre affaire, refusé de qualifier un ralentisseur de type « trapézoïdal », en considérant que :

« Il résulte de l’instruction et notamment du constat d’huissier dressé à l’initiative des requérants que la longueur du ralentisseur est de 20,5 m, avec des rampants de 1,30 à 1,40 m. D… tenu de la longueur du ralentisseur, il ne peut être regardé comme constituant un ralentisseur de type trapézoïdal au sens des normes en vigueur, mais constitue plutôt, ainsi que l’a exactement retenu le tribunal, un ralentisseur de type plateau qui, du fait de sa configuration, ne relève pas des prévisions du décret n° 94-447 du 27 mai 1994. Les moyens invoqués, tous tirés de la méconnaissance de ce décret, sont, en conséquence, inopérants ».

Il ressort de cet arrêt, que dès lors que le dispositif en cause ne correspond pas aux caractéristiques d’un « dos d’âne », ou d’un « ralentisseur trapézoïdal », au sens du décret du 27 mai 1994, il échappe de fait aux obligations imposées par ce décret et, d’une certaine façon, à toute critique, dès lors qu’il n’existe pas de réglementation expresse pour ces dispositifs, mais seulement un guide édité par le CEREMA en 2010, qui ne saurait avoir de valeur réglementaire.

 

La CAA de Marseille (CAA Marseille, 11 avril 2022, n° 20MA03261) a rendu une décision par laquelle elle a considéré qu’« il ressort du décret pris dans son ensemble que ses auteurs n’ont pas entendu désigner comme étant de « type trapézoïdal » l’ensemble des ralentisseurs dont le profil présente la forme géométrique d’un trapèze, mais uniquement ceux caractérisés comme tels dans la typologie technique propre à ces aménagements routiers. Il suit de là que les ralentisseurs caractérisés comme des « plateaux traversants » selon la typologie technique usuelle ne peuvent être, par définition, des ralentisseurs de « type trapézoïdal » au sens de l’article 1er du décret du 27 mai 1994, quand bien même leur profil présenterait la forme géométrique d’un trapèze dont les deux bases seraient allongées. L’association PUMSD et autres ne sont en conséquence pas fondés à soutenir que les ralentisseurs de type « plateau traversant » seraient soumis au décret du 27 mai 1994 ».

 

Mais le Conseil d’Etat ne semble pas avoir été convaincu par l’analyse de la Cour, puisque par un arrêt du 24 octobre 2023 (CE, 24 octobre 2023, n° 464946), il a annulé l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Marseille et renvoyé l’affaire devant elle en considérant que :

« Pour écarter le moyen tiré de ce que la qualification par le département du Var comme des « plateaux traversants » de la plupart des ouvrages visés par la demande de l’association requérante ne permettait pas de les exclure du champ d’application du décret du 27 mars 1994, dès lors que, quelle que soit la longueur du plateau du ralentisseur, leur profil présente la forme d’un trapèze, la cour administrative d’appel de Marseille s’est bornée à énoncer qu’il résultait de ce décret pris dans son ensemble que ses auteurs n’avaient pas entendu désigner tous les ouvrages présentant cette forme comme étant de « type trapézoïdal », mais uniquement ceux caractérisés comme tels dans « la typologie technique propre à ces aménagements routiers », et en a déduit que les ouvrages caractérisés comme « plateaux traversants » selon la « typologie technique usuelle » ne pouvaient par définition être qualifiés de ralentisseurs de type trapézoïdal pour l’application de ce décret. En statuant ainsi, sans se référer ni aux dispositions du décret ni à la typologie dont elle déduisait une telle exclusion, la cour administrative d’appel n’a pas mis le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a, ainsi, insuffisamment motivé son arrêt ».

Il appartient désormais à la CAA de Marseille de « reprendre sa copie » et de déterminer précisément pourquoi les « plateaux traversants » tels que qualifiés par le Département du Var, présentant la forme d’un trapèze, ne devraient pas être qualifiés de ralentisseurs trapézoïdaux au sens du décret du 27 mai 1994 et donc échapper aux obligations imposées par ce décret.

 

Au-delà de cette question de vocabulaire et de cette « bataille sémantique », on peut néanmoins légitimement s’interroger sur cette liberté laissée au gestionnaire des voies de circulation, de créer des dispositifs non définis réglementairement et qui permettent de s’affranchir des obligations techniques imposées par le Décret du 27 mai 1994…

 

On rappellera que l’article 7 dudit Décret précisait que « des essais de ralentisseurs non conformes aux dispositions prévues ci-dessus peuvent être conduits, avec l’accord et sous la responsabilité du ministre chargé des transports (direction de la sécurité et de la circulation routières), dans des conditions définies par décision spécifique ».

Les plateaux traversants et autres « coussins berlinois » apparaissent rentrer dans cette catégorie de « ralentisseurs non conformes aux dispositions prévues ci-dessus » et ne devraient donc pouvoir être installés qu’avec l’accord du Ministre chargé des transports, dans des conditions définies par décision spécifique. Il ne ressort pas des jurisprudences précitées que les autorités gestionnaires aient fait valoir l’existence d’un tel accord, dans des conditions définies par décision spécifique. Une clarification réglementaire serait sans doute la bienvenue, s’agissant d’une question de sécurité routière.

 

Vincent LACROIX

Avocat Associé