Le Conseil d’Etat rappelle sa jurisprudence en matière d’opposabilité des lignes directrices.

Conseil d’Etat, 21 septembre 2019, n°425960 et Conseil d’Etat, 21 septembre 2019, n°428683

Le Conseil d’Etat rappelle que, dans le cas où un texte prévoit l’attribution d’un avantage sans avoir défini l’ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui sont en droit d’y prétendre, l’autorité compétente peut, alors qu’elle ne dispose pas en la matière du pouvoir réglementaire, encadrer l’action de l’administration, dans le but d’en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d’intérêt général conduisant à y déroger et de l’appréciation particulière de chaque situation. Dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l’avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées. En revanche, il en va autrement dans le cas où l’administration peut légalement accorder une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l’intéressé ne peut faire valoir aucun droit. S’il est loisible, dans ce dernier cas, à l’autorité compétente de définir des orientations générales pour l’octroi de ce type de mesures, l’intéressé ne saurait se prévaloir de telles orientations à l’appui d’un recours formé devant le juge administratif (CE 4 févr. 2015, n° 383267).

Dans la première affaire :

Par une décision du 29 juillet 2015, la déléguée régionale Ile-de-France-Sud du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) avait rejeté la demande d’un chargé de recherches de 1ère classe, tendant à la prolongation de son activité au-delà de la limite d’âge.

Après avoir rappelé les dispositions de l’article 68 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat aux termes desquelles « Les fonctionnaires ne peuvent être maintenus en fonctions au-delà de la limite d’âge de leur emploi sous réserve des exceptions prévues par les textes en vigueur «  et les dispositions de l’article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984, aux termes desquelles  » (…) les fonctionnaires dont la durée des services liquidables est inférieure à celle définie à l’article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent, lorsqu’ils atteignent les limites d’âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, sur leur demande, sous réserve de l’intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en activité (…) « , le Conseil d’Etat juge que ces dispositions confèrent à l’autorité compétente un large pouvoir d’appréciation de l’intérêt, pour le service, d’autoriser un fonctionnaire atteignant la limite d’âge à être maintenu en activité.

Le Conseil d’Etat relève ensuite que la circulaire du 28 avril 2014 sur l’application des dispositifs de poursuite d’activité au-delà de la limite d’âge des agents titulaires et non titulaires du CNRS prévoyait, à titre d’orientation générale, de privilégier le recrutement de jeunes chercheurs plutôt que le maintien en activité des agents ayant atteint la limite d’âge, tout en invitant à procéder à un examen particulier de chaque demande et en précisant qu’il devait être dérogé à cette orientation générale lorsque les circonstances propres au cas particulier le justifient dans l’intérêt du service.

Le Conseil d’Etat en conclut que cette circulaire s’est ainsi bornée à fixer, à l’attention des services de l’établissement, des lignes directrices pour l’appréciation des demandes de maintien en activité au regard de l’intérêt du service mais qu’elle n’avait pas, contrairement à ce qu’avait pu juger la cour administrative d’appel, pour portée de fixer des règles impératives. 

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat juge que les lignes directrices fixées par la circulaire de 2014, eu égard à leurs termes, ne méconnaissent pas les dispositions de l’article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984, compte tenu du large pouvoir d’appréciation que ces dispositions laissent à l’autorité administrative et que, le moyen tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité de la circulaire du 28 avril 2014 ne peut qu’être écarté.

Il constate enfin qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision de la déléguée régionale Ile-de-France-Sud du CNRS qui a refusé de faire droit à la demande de prolongation au motif qu’aucune circonstance particulière propre à l’intéressé et à la situation du laboratoire dans lequel il exerçait ses fonctions ne justifiait qu’il soit dérogé à l’orientation générale consistant à privilégier le recrutement de jeunes chercheurs sur le maintien en activité au-delà de la limite d’âge serait entachée d’erreur manifeste.

Dans la seconde affaire :

Un professeur d’un établissement d’enseignement privé sous contrat avec l’Etat, avait présenté au recteur une demande préalable tendant à connaître le montant de l’indemnité de départ volontaire auquel il pouvait prétendre en cas de démission pour reprise d’une entreprise. Par une première décision du 17 novembre 2014, le recteur lui a indiqué que ce montant s’élèverait à 22 000 euros si la démission intervenait au cours de l’année civile en cours, montant qui a été maintenu, à la suite d’une demande de précision, par une deuxième décision du 17 décembre 2014. Le 6 janvier 2015, le professeur a exercé un recours gracieux contre la première décision en demandant que le montant soit réévalué à 73 168,10 euros, puis a présenté, le 28 janvier 2015, sa démission à compter du 26 avril de la même année. Par un arrêté du 13 mars 2015, le recteur a accepté cette démission et a attribué à l’intéressé une indemnité de 22 000 euros. Le professeur a saisi le Tribunal administratif d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser le solde de l’indemnité de départ volontaire auquel il estimait avoir droit, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2014, avec leur capitalisation annuelle.

Le Conseil d’Etat juge qu’en application du décret du 17 avril 2008 instituant une indemnité de départ volontaire, l’attribution d’une indemnité de départ volontaire n’a pas le caractère d’un avantage statutaire et que le décret se borne à déterminer le plafond de cette indemnité et la possibilité d’en moduler le montant, sans fixer celui-ci, chaque ministre étant compétent, dans l’exercice de ses prérogatives d’organisation des services placés sous son autorité, pour établir, dans le respect des règles générales fixées par ces mêmes dispositions, la réglementation applicable au versement de cette indemnité au sein de son administration.

Le Conseil d’Etat relève ensuite que le ministre chargé de l’éducation nationale a pris successivement deux circulaires, les 19 mai 2009 et 27 novembre 2014, qui ont prévu que les montants d’indemnité de départ volontaire attribués individuellement s’inscrivent  » généralement  » dans des fourchettes prédéfinies en fonction du nombre d’années d’ancienneté, avec la faculté pour les recteurs d’académie de s’en écarter dans le cadre de leur  » pouvoir d’appréciation « . Si la première de ces circulaires indique qu’une telle faculté ne peut intervenir que  » dans des cas exceptionnels « , elle précise pour les projets de création ou de reprise d’une entreprise, d’une part, que la demande sera  » accueillie favorablement dans la mesure où il y a lieu d’encourager ce type d’initiative  » et, d’autre part, que le montant de l’indemnité sera  » généralement  » fixé dans la partie haute de la fourchette.

Le Conseil d’Etat en déduit que les circulaires des 19 mai 2009 puis du 27 novembre 2014 constituent des lignes directrices et que, par conséquent, les maîtres contractuels des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association, qui sont des agents de droit public auxquels l’article L. 914-1 du code de l’éducation rend applicables les conditions de cessation d’activité et les mesures sociales dont bénéficient les maîtres titulaires de l’enseignement public et qui peuvent, ainsi, prétendre à l’attribution d’une indemnité de départ volontaire même s’ils n’ont pas droit pour autant à obtenir un montant déterminé, peuvent se prévaloir, devant le juge administratif, des fourchettes de taux prévues par celle de ces lignes directrices qui leur sont applicables.

Le Conseil d’Etat en conclut que la cour administrative d’appel, en se bornant à juger que le recteur de l’académie de Grenoble avait pu, sans erreur manifeste d’appréciation, fixer le montant de l’indemnité de départ volontaire à verser en appliquant un taux de 30 % au plafond prévu par l’article 6 du décret du 17 avril 2008, sans rechercher si ce taux s’inscrivait dans la fourchette de taux prévue, en fonction de l’ancienneté de service de l’agent, par la circulaire dont elle faisait application ou, à défaut, si un motif d’intérêt général ou des circonstances particulières tenant à la situation de l’intéressé permettaient de s’en écarter, a commis une erreur de droit.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat rejette finalement la demande.

En effet, il relève que la décision du 17 novembre 2014, par laquelle le recteur a indiqué le montant indemnitaire auquel il pouvait prétendre s’il démissionnait, précisait que ce montant n’était valable quand dans le seul cas d’une démission intervenant dans le courant de l’année civile. Par suite et dès lors que la démission de l’intéressé n’avait finalement été présentée que le 28 janvier 2015 avec effet au 26 avril de la même année, l’administration avait pu, sans porter atteinte à la garantie des biens du requérant résultant de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sans le priver d’une quelconque espérance légitime, faire légalement application, dans l’arrêté du 13 mars 2015 par laquelle elle a accepté sa démission et a fixé définitivement le montant de son indemnité, de la circulaire du 27 novembre 2014 qui avait été publiée entre temps.

En outre, la circulaire du 27 novembre 2014 a remplacé les fourchettes qui étaient applicables en cas d’ancienneté supérieure à dix ans par une unique fourchette comprise entre 25 % et 50 % du plafond prévu par le décret du 17 avril 2008, sans règle particulière en cas de projet de création ou de reprise d’une entreprise. Par suite, en fixant le montant définitif de l’indemnité due à M. A… à 22 000 euros c’est-à-dire à environ 30 % du plafond précité au regard de la rémunération qu’il avait perçue en 2014, l’administration n’a, en dépit de la valeur professionnelle de l’intéressé ainsi que de la pertinence et du besoin de financement de son projet de reprise d’entreprise, commis aucune erreur manifeste d’appréciation.