Le taux de participation aux élections n’est pas un critère d’appréciation de la sincérité du scrutin et ne peut fonder un recours en annulation d’opérations électorales.

Conseil d’Etat, 1ère et 4ème chambres réunies, 15 juillet 2020 n°440055

Dans la commune de Saint-Suplice-Sur-Risles, le conseil municipal a été élu dès le premier tour des opérations électorales. Le 22 mars 2020, un recours en contestation des opérations électorales est formé par Monsieur B.D qui se prévalait du fort taux d’abstention (56,04%) lequel serait de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Le Tribunal administratif de Caen a déclaré irrecevable la protestation de M.B par une ordonnance du 25 mars 2020, au motif que celle-ci était tardive. Le requérant s’est pourvu en cassation.

S’agissant de la recevabilité de la requête, le code électoral prévoit un délai de recours spécial : « au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture » (article R.119 du code électoral). La Haute Assemblée a calculé le délai de recours à la lumière de l’ordonnance du 25 mars 2020 et de l’article 262 du code civil, prenant en compte le weekend intervenu entre-temps. Dès lors, les protestations pouvaient être formées jusqu’au lundi 25 mars 2020 (18 heures). La requête de M. B était donc recevable.

Le Conseil d’Etat s’est alors prononcé sur le fond : un fort niveau d’abstention est-il de nature à altérer la sincérité du scrutin et à justifier l’annulation des opérations électorales ?

Par cette décision, le juge administratif fait suite à la décision du Conseil Constitutionnel en date du 17 juin 2020 n°2020-849. Ce dernier était saisi de la constitutionnalité de l’article 19 de la loi n°25020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. L’article 19 confirme l’élection des conseillers municipaux dès le premier tour et reporte, en cas de besoin, le second tour au mois de juin. Après avoir conclu à la constitutionnalité de cette article, il a laissé au juge administratif le soin d’apprécier au cas par cas si un tel facteur est susceptible altérer la sincérité du scrutin.

Dans un premier temps, le juge administratif a analysé l’intention du législateur au travers des dispositions du code électoral et de la loi du 23 mars 2020. Il en a conclu que le législateur n’avait pas entendu subordonner « à un taux minimal de participation, la répartition des sièges au conseil municipal » pour les communes de 1000 habitants et plus.

Le Conseil d’Etat a ensuite posé un nouveau standard jurisprudentiel : « le niveau de l’abstention n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité ». 

On peut en déduire les considérations suivantes : d’une part, le moyen unique relatif au taux de participation n’est pas susceptible de fonder le recours en annulation. D’autre part, lorsqu’il est invoqué à l’appui d’autres circonstances, le juge procédera à un examen au cas par cas.

En l’espèce, le taux d’abstention de 56.07 %. Même si le taux d’abstention est important, le juge a estimé que le moyen n’était pas fondé en l’absence d’autres circonstances.

Le Conseil d’Etat a donc apporté des précisions nouvelles sur l’appréciation d’un tel moyen. Pour qu’il soit pris en compte, le taux de participation doit être corroboré par d’autres circonstances « relative[s] au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin » montrant une atteinte « au libre exercice du droit de vote ou à l’égalité entre les candidats ». 

Ainsi, le taux d’abstention apparaît plus comme un indice à l’appréciation d’autres éléments de circonstances, qu’un moyen effectif susceptible d’entraîner, « par lui-même », l’annulation des opérations électorales.