Par trois décisions en date du 14 novembre 2018, le Conseil d’Etat est venu préciser l’application du régime de l’urbanisme commercial réformé par la loi n°2014-626 du 18 juin 2014  relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite « Loi PINEL » qui a créé une autorisation unique d’urbanisme : le permis tenant lieu d’autorisation commerciale. La circonstance que le décret d’application ne soit pas intervenu dans les six mois de la promulgation de la loi a conduit à des contentieux sur le régime applicable durant la période transitoire. 

  • Conseil d’Etat, 14 novembre 2018, n°408952

Dans le cadre du premier arrêt (), la société Val de Sarthe contestait l’autorisation donnée, le 2 septembre 2014, par la commission départementale d’aménagement commercial de la Sarthe, et confirmée, le 16 janvier 2015, par la commission nationale d’aménagement commercial, à différentes sociétés pour la création d’un ensemble commercial (hypermarché, galerie marchande et retail park) pour une surface totale de vente de 15 995 m2.

La société la date d’entrée en vigueur de l’article 49 de la loi PINEL modifiant l’article L.752-6 du Code de commerce, relatif aux objectifs à prendre en compte par les commissions départementales et nationale d’aménagement commercial pour accorder les autorisations. En effet, l’article 60 de la loi PINEL prévoyait une entrée en vigueur des dispositions « à une date fixée par décret en Conseil d’Etat et au plus tard six mois à compter de la promulgation » de la loi. Or, le décret d’application a été adopté le 12 février 2015 et publié au Journal officiel du 15 février 2015, soit plus de 6 mois après la promulgation de la loi et il prévoyait en son article 6 que les dispositions des articles 39 à 44 et 49 de la loi entraient en vigueur au lendemain d la publication du décret au journal officiel.

La société affirmait que l’entrée en vigueur et donc l’application des dispositions de l’article 49 de ladite loi n’étaient pas manifestement impossible en l’absence des dispositions d’application fixée par le décret et qu’elles étaient donc applicables à la date à laquelle la commission départemental d’aménagement commercial a autorisé le projet contesté.

Le Conseil d’Etat rejette cette analyse en considérant que « eu égard, d’une part, au caractère indivisible, voulu par le législateur, des modifications introduites par les articles 39 à 44 et 49 et, d’autre part, au fait que l’application de certains de ces articles, notamment ceux relatifs à la nouvelle composition des commissions départementales d’aménagement commercial et de la Commission nationale d’aménagement commercial, était manifestement impossible en l’absence de décret d’application, les dispositions du décret du 12 février 2015 citées ci-dessus ont pu légalement prévoir l’entrée en vigueur simultanée de tous ces articles au lendemain de sa propre publication« .

Par conséquent, la régularité de l’autorisation devait être analysée au regard des dispositions de l’article L.752-6 du Code de commerce dans sa version antérieure à celle introduite par la loi du 18 juin 2014. Il valide ensuite l’analyse faite par la Cour administrative d’appel de Nantes et rejette le pourvoi de la société Val de Sarthe.

  • Conseil d’Etat, 14 novembre 2018,409833

Dans le cadre du deuxième arrêt, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le recours formé contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai ayant annulé la décision du 6 mai 2015 de la Commission nationale d’aménagement commercial rendue sur le recours formé par la Commune de Rouen contre une décision de la commission départementale du 12 décembre 2014. Par cette décision, la CNAC avait autorisé la création, par la société MGE Normandie et autres,  d’un ensemble commercial sur le territoire de la Commune de Douains.

Depuis l’entrée en vigueur du décret d’application de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, l’article 425-4 du Code de l’urbanisme prévoit que le permis de construire tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale dès lors que la CDAC et, le cas échéant CNAC, ont rendu un avis favorable.

Par cet arrêt, le Conseil vient préciser la recevabilité des recours en fonction de la date d’intervention des avis des commissions et du permis :

  • Tout d’abord, pour tous les projets soumis à autorisation commerciale ayant fait l’objet d’un permis de construire avant le 15 février 2015, celui ci ne tient pas lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Par conséquent, dans cette hypothèse, la décision de la CNAC intervenue sur un recours contre une décision de la CDAC est un acte faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours est ouvert quand bien même l’avis, en raison de la durée de l’instruction, interviendrait postérieurement au 14 février 2015.
  • Par ailleurs, lorsque le projet soumis à autorisation d’exploitation commerciale doit également faire l’objet d’un permis de construire, il tient lieu d’autorisation commercial dès lors que la demande de permis a donné lieu à un avis de la CDAC et que le permis a été délivré après le 14 février 2015, celui-ci peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Conformément aux dispositions de l’article L.600-1-4 du Code de l’urbanisme, ce recours est ouvert aux personnes mentionnées à l’article L.752-17 du Code de l’urbanisme et seuls les moyens relatifs à la légalité du permis en tant qu’autorisation d’exploitation commerciale sont recevables.
  • Enfin, dans l’hypothèse où l’avis de la CNAC intervient avant le 15 février 2015 et le permis de construire afférent après le 14 février 2015, la décision de la CNAC peut faire l’objet d’un recours seulement en tant qu’acte valant autorisation d’exploitation commerciale tandis que le permis de construire ne pourra faire l’objet d’un recours qu’en tant qu’acte valant autorisation de construire.

 

Dans le cadre du troisième arrêt, il était question de la compétence des CAA en premier et dernier ressort pour statuer sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale, prévue par l’article L.600-10 du Code de l’urbanisme. Le Conseil d’Etat vient cependant préciser que cette compétence n’est applicable que si le projet a été soumis pour avis à une commission départemental d’aménagement commercial. En effet, en l’absence d’un tel avis, le permis ne tient pas lieu d’autorisation d’exploitation commerciale.

En l’espèce, le permis délivré par le maire de Vire Normandie n’ayant pas été soumis à l’avis de la CDAC, il ne pouvait tenir lieu d’autorisation d’exploitation commerciale, quand bien même il portait la mention « valant autorisation d’exploitation commerciale ». Ainsi, la Cour administrative d’appel de Nantes n’était pas compétente pour statuer en premier et dernier ressort sur le permis.