A l’occasion d’une décision du 25 novembre 2021, le Conseil d’État juge que l’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché justifie l’annulation du contrat sans qu’il soit besoin de relever une intention de la part du pouvoir adjudicateur de favoriser un candidat.

CE, 25 novembre 2021, Société Corsica Networks, n°454466, Publié au recueil

On le sait, le principe d’impartialité, principe général du droit, s’impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative (CE, 14 octobre 2015, SA Applicam, n° 390968).

En conséquence, durant la procédure, l’acheteur doit veiller à prévenir la survenance d’une possible situation de conflit d’intérêts c’est-à-dire « toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public » (article L. 2141-10 du Code de la commande publique).

Dans l’affaire commentée, une personne avait eu jusqu’à très récemment des responsabilités au sein de l’entreprise candidate en lien avec l’objet du marché puis elle avait rejoint les services de la collectivité adjudicatrice où elle avait participé à la procédure de sélection des candidatures et des offres sans pour autant signer le rapport d’analyse des offres. Pour le Conseil d’État, ce contexte pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts le liant à la société candidate et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par la collectivité adjudicatrice.

Une fois caractérisée, la situation de conflit d’intérêts à un effet radical puisqu’elle constitue un vice d’une particulière gravité qui doit conduire le Juge administratif, alors en situation de compétence liée, à annuler le contrat, sans qu’il soit besoin de relever une intention de la part du pouvoir adjudicateur de favoriser un candidat.

Là réside tout l’intérêt de la décision.

On note en effet donc une différence sensible avec les autres vices susceptibles d’entacher la procédure de publicité et de mise en concurrence qui ne conduiront à l’annulation du contrat que dans la mesure où ils révèlent une volonté particulière de la personne publique de favoriser un candidat et donc ont affecté gravement la légalité du choix de l’attributaire (CE, 15 mars 2019, Société anonyme gardéenne d’économie mixte, n° 413584).

Cet effet automatique voulu par le Conseil d’État en présence d’un doute sur l’impartialité de l’acheteur peut certainement s’expliquer par le fait que l’on touche ici aux principes fondamentaux de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures qui s’imposent à tous les marchés.

De surcroît, il faut bien penser qu’au plan procédural le candidat évincé aura déjà dû verser aux débats des éléments tangibles permettant de caractériser l’existence d’une situation de conflit d’intérêts de sorte qu’il ne serait pas forcément raisonnable d’exiger de lui qu’il rapporte, en sus, la preuve que la situation de conflit d’intérêts ainsi mise au jour a (ou aurait) influencé le choix de l’acheteur. Si tant est que cette preuve puisse être rapportée.

D’autant que caractériser une situation de conflit d’intérêts n’est déjà pas une mince affaire…

Quelques décisions significatives rendues par le Conseil d’État illustrent très bien cette complexité :

-Une personne ayant exercé des responsabilités importantes au sein de l’entreprise attributaire, jusqu’à moins de deux ans avant le lancement de la procédure ; puis ayant contribué à la rédaction du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et à l’analyse des offres des candidats peut légitimement faire naître un doute sur l’impartialité de la procédure suivie par l’acheteur même si cette personne ne détient plus d’intérêts dans l’entreprise attributaire du marché (CE, 14 octobre 2015, SA Applicam, n° 390968).

-En revanche, la circonstance que le Maire de la commune acheteuse était tout à la fois administrateur de la société attributaire et de la société requérante n’est pas, à elle seule, suffisante pour faire naître un doute sur l’impartialité de l’acheteur même s’il a critiqué en séance le choix du candidat évincé de former un référé précontractuel (CE, 20 octobre 2021, Commune du Pradet, n° 453653).

-De même, le fait que le chef de projet au sein d’une société à laquelle avait été confiée une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage en avril 2017, rejoigne en décembre 2017, préalablement à la remise des offres, la société attributaire du marché a seulement pour effet d’obliger l’acheteur à prendre des mesures propres à rétablir l’égalité de traitement des candidats mais, elle est en elle-même, insusceptible d’affecter son impartialité (CE, 12 septembre 2018, SIVOM de la vallée de la Chevreuse, n° 420454)

Moralité de cette affaire, la procédure de publicité et de mise en concurrence ne doit pas seulement avoir été conduite de manière impartiale par l’acheteur elle doit également donner le sentiment aux candidats (et au juge) qu’elle l’a été.