Par un arrêt rendu le 26 août 2021, la Cour administrative d’Appel de Lyon a rejeté la requête d’appel formée par la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen tendant à l’annulation du jugement rendu par le Tribunal administratif de Lyon par lequel les premiers juges avaient rejeté sa requête aux fins de voir annuler la décision du président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes de faire installer cinq crèches de Noël dans les locaux de l’hôtel de région à l’occasion des fêtes de fin d’année 2017.

CAA Lyon, 26 août 2021, LDH c. Région ARA, n°19LY00309 

 

Dans cette affaire, et pour mémoire, la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen avait sollicité l’annulation de la décision du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes d’installer, du 4 au 29 décembre 2017, cinq crèches de Noël dans les locaux de l’hôtel de Région.

 

En première instance, le Tribunal administratif de Lyon avait rejeté cette requête en considérant que l’exposition en question, composée de vitrines de crèches réalisées par des maîtres artisans et créateurs de santons haut-savoyard, altiligérien, ardéchois et cantalien, et de panneaux illustrant le travail du santonnier à travers les étapes de la fabrication d’un santon, revêtait un caractère culturel et ne méconnaissait donc pas le principe de neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes (Voir notre article sur ce jugement).

 

En appel, les juges ont rappelé le considérant de principe dégagé par le Conseil d’Etat dans sa décision du 9 novembre 2016 (n°395122) :

 

« 6. Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public. Dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l’installation d’une crèche de Noël ne peut, en l’absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques. A l’inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année notamment sur la voie publique, l’installation à cette occasion d’une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse. »

 

Il ressort de ce considérant que le lieu d’installation d’une crèche de Noël est déterminant puisque :

  • Dans l’enceinte des bâtiments publics (collectivité ou service public), le principe est l’interdiction de l’installation d’une crèche de Noël, sauf à lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif ;
  • Dans les autres emplacements publics, l’installation d’une crèche de Noël est possible, dès lors qu’elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.

 

Et il apparaît que la frontière entre culturel et cultuel est parfois ténue, comme cela ressort de la motivation précise et balancée des juges d’appel :

 

« 8. Il ressort en revanche des pièces du dossier que cette exposition temporaire, dans le hall de l’hôtel de la région mais également visible de l’extérieur, comporte, d’une part, deux décors de crèches réalisés par un ornemaniste et un maître-santonnier drômois présentant les métiers d’art et les traditions santonnières de la région dans des scènes pittoresques de la vie quotidienne, d’autre part quatre vitrines de crèches réalisées par des maîtres-artisans et santonniers respectivement haut-savoyards, altiligériens, ardéchois et cantaliens. Ces décors de crèches de la nativité, représentant la diversité des traditions de la création santonnière dans la région, sont explicités par des panneaux didactiques sur le travail du santonnier à travers les étapes de la réalisation d’un santon. Cette exposition statique a été complétée par des ateliers à destination notamment des enfants visant à la découverte des métiers d’art, objets d’un plan régional lancé en 2016, l’ensemble étant présenté sur le site internet de la région par un communiqué du 5 décembre 2017, succédant au vernissage par le président de région, comme  » une exposition vitrine du savoir-faire régional des métiers d’art et traditions populaires « .

 

9. Il ne saurait être déduit de la seule circonstance que cette manifestation ait été organisée à la période de Noël, en tout état de cause la plus propice à susciter l’intérêt du public au regard de son thème, non plus que des déclarations et polémiques politiques qu’elle a suscitées, en tout état de cause inévitables dès lors que tout objet culturel renvoie nécessairement également à des débats partisans, que l’action politique ou le prosélytisme auraient été la finalité principale, occultée par une présentation culturelle, de la décision en litige.

 

10. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments, nonobstant la connotation religieuse qui s’attache nécessairement au thème, à l’instar notamment de nombre d’œuvres picturales ou ornementales d’essence traditionnelle, que la dimension culturelle régionale et artistique de l’exposition litigieuse reste prépondérante. Dans ces circonstances particulières à l’espèce, le fait d’avoir procédé à cette installation, visible de l’extérieur, dans l’enceinte de l’hôtel de région, ne méconnaît pas l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 non plus que les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques. »

 

La frontière entre culturel et cultuel reste bien ténue, et les intentions réelles des organisateurs de ces évènements restent à apprécier …