Dans un arrêt du 26 mai 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser, d’une part, les conditions dans lesquelles le juge des référés appréciait la présomption d’urgence posée par l’article L600-3 du code de l’urbanisme, et d’autre part, le traitement de la communication de mémoires intervenues après la clôture de l’instruction. 

Conseil d’Etat, 26 mai 2021, n°436902 et 436904 

Par un arrêté en date du 14 février 2019, le préfet de Seine et Marne a délivré à la société Centre valorisation organique de Seine et Marne (CVO 77) un permis de construire autorisant la construction d’une unité de méthanisation.

Par un arrêté du 15 mai 2019, le préfet a autorisé le CVO 77 à exploiter cette unité de méthanisation de déchets non dangereux et une unité de reconditionnement de biodéchets sur le territoire de la commune de Bailly-Romainvilliers.

Par deux recours devant le tribunal administratif de Melun, l’association Ovide et des particuliers ont demandé la suspension des arrêtés préfectoraux autorisant la construction et l’exploitation de l’unité de méthanisation.

Par deux ordonnances en date du 15 novembre 2019 et du 12 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

L’association Ovide et les autres requérants se sont alors pourvus en cassation contre les deux ordonnances  en reprochant au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d’une part, de ne pas avoir reconnu l’urgence à suspendre et d’autre part d’avoir rendu son ordonnance alors que l’instruction était toujours en cours.

En premier lieu, sur le renversement de la présomption d’urgence, le Conseil d’Etat rappelle qu’aux termes des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

Ces dispositions sont complétées par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, aux termes duquel :

« Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir ne peut être assorti d’une requête en référé suspension que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort.

La condition d’urgence prévue à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite ». 

Le Conseil d’Etat juge ensuite que « cette présomption étant dépourvue de caractère irréfragable », elle peut donc être renversée, notamment en cas d’intérêt public à réaliser les travaux et si le projet n’a pas pour effet d’augmenter les nuisances déjà présentes :

« 3. Le juge des référés du tribunal administratif de Melun a relevé qu’il existait un intérêt public s’attachant à l’exécution de l’arrêté préfectoral litigieux dès lors que l’unité de méthanisation en projet devait remplacer une porcherie causant de fortes nuisances olfactives, contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et permettre le traitement et la valorisation de biodéchets et que, au surplus, les requérants ne démontraient pas que ce projet créerait pour eux des nuisances supérieures à celles qu’ils subissent déjà du fait de l’implantation de la porcherie ».

Dès lors, « en estimant que ces éléments étaient de nature à renverser la présomption d’urgence prévue par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme » , le juge des référés du tribunal administratif de Melun « n’a ni entaché son ordonnance d’erreur de droit,(…), ni fait peser sur les requérants la charge de la preuve de la condition d’urgence ».

En second lieu, sur la communication des mémoires transmis après la clôture de l’instruction, le Conseil d’Etat rappelle à cet égard, qu’en vertu des dispositions de l’article L.5 du code justice administrative :

« L’instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ». 

Ces dispositions sont complétées par l’article L. 522-1 du même code prévoyant :

« Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale (…) ».

De plus, aux termes des dispositions de l’article R. 522-8 dudit code :

 » L’instruction est close à l’issue de l’audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l’instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l’audience et avant la clôture de l’instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d’apporter au juge la preuve de ses diligences.

L’instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ».

Le Conseil d’Etat juge qu’au regard de ces dispositions, lorsque le juge des référés communique après la clôture de l’instruction un mémoire produit par les parties, il « doit être regardé comme ayant rouvert l’instruction ».

Par suite, « Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d’informer les parties de la date et, le cas échéant, de l’heure à laquelle l’instruction sera close ».

Ainsi, il ne peut, sous peine d’entacher la procédure d’irrégularité, rendre son ordonnance sans avoir préalablement clos l’instruction (« Il ne saurait, en toute hypothèse, rendre son ordonnance tant que l’instruction est en cours sans entacher la procédure d’irrégularité »). 

Au cas de l’espèce, après avoir clos l’instruction à l’issue de l’audience conformément aux dispositions de l’article R.522-8 du code de justice administrative, le juge des référés a communiqué de nouveaux mémoires aux parties, ce qui a eu pour effet d’avoir « nécessairement rouvert l’instruction ». 

Ainsi, en prononçant son ordonnance sans avoir clos l’instruction après la communication des mémoires, le juge des référés a entaché sa décision d’illégalité :

« Il s’ensuit qu’en rendant son ordonnance le 15 novembre 2019 alors que l’instruction n’était pas close, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a entaché la procédure d’irrégularité ». 

Ainsi, utilisant son pouvoir d’évocation, conformément aux dispositions de l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’état rejette les pourvois des requérants en réaffirmant la possibilité pour le juge des référés de renverser la présomption d’urgence prévue par l’article L.600-3 du code de l’urbanisme, qui n’est pas irréfragable, notamment en cas d’intérêt public à réaliser les travaux.