Par une décision QPC du 16 avril 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique qui instauraient une différence de traitement entre les locataires d’une propriété expropriée par cession amiable ou par une ordonnance d’expropriation.

 

Conseil constitutionnel, 16 avril 2021, décision n° 2021-897 QPC

 

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique qui prévoyaient que :

 

« Après la saisine du juge et sous réserve que l’ordonnance d’expropriation soit intervenue, les propriétaires expropriés qui occupent des locaux d’habitation ou à usage professionnel ainsi que les locataires ou preneurs commerçants, artisans, industriels ou agricoles peuvent, s’il n’y a pas obstacle au paiement et sauf dans l’hypothèse où leur relogement ou leur réinstallation est assurée par l’expropriant, obtenir le paiement d’un acompte représentant 50 % du montant des offres de l’expropriant. Toutefois, lorsque les offres de l’expropriant sont supérieures aux estimations faites par l’autorité administrative compétente, cet acompte est limité à 50 % du montant de ces estimations. »

 

 

De telles dispositions revenaient, selon les auteurs de la question prioritaire de constitutionnalité, à réserver le bénéfice d’un acompte sur l’indemnité d’éviction aux seuls locataires d’un bien faisant l’objet d’une procédure d’expropriation par voie d’ordonnance d’expropriation dès lors qu’aucune disposition ne prévoyait un tel acompte pour une cession amiable.

 

 

Le Conseil constitutionnel a donc procédé au contrôle de telles dispositions au regard du principe d’égalité devant la loi qui figure à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et qui « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. »

 

Le législateur peut donc prévoir de déroger au principe d’égalité devant la loi pour des motifs d’intérêt général et décider que des situations différentes soient traitées différemment par la loi. Toutefois, le principe d’égalité devant la loi impose que de telles différences de traitements soient en rapport direct avec l’objet de la loi.

 

Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a donc retenu qu’il existait bien une différence de traitement entre les locataires selon le mode de transfert de propriété (cession amiable ou expropriation judiciaire) puisque :

 

« (…) Les dispositions contestées prévoient que, devant le juge de l’expropriation saisi de l’indemnisation et sous réserve que l’ordonnance d’expropriation soit intervenue, les locataires d’un bien faisant l’objet d’une procédure d’expropriation peuvent obtenir le paiement d’un acompte représentant, en principe, la moitié du montant de l’indemnité proposée par l’expropriant.

 

Ces dispositions excluent de la possibilité de percevoir un acompte sur l’indemnité les locataires d’un bien dont le transfert de propriété a été opéré par cession amiable. Elles instituent ainsi une différence de traitement entre les locataires d’un bien exproprié selon que le transfert de propriété du bien qu’ils louent a été opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable. »

 

 

Dans un second temps, le Conseil constitutionnel s’est attaché à rechercher si une telle différence de traitement était justifiée mais a estimé que :

 

« (…) En permettant au locataire d’un bien exproprié d’obtenir le paiement d’un acompte sur l’indemnité qui lui est due, le législateur a entendu faciliter sa réinstallation.

 

  1. Or, d’une part, que le transfert de propriété du bien loué procède d’une ordonnance d’expropriation ou d’une cession amiable consentie après déclaration d’utilité publique ou dont le juge a donné acte, les conséquences sur les droits du locataire sur ce bien ainsi que sur son droit à indemnisation sont identiques. D’autre part, ni l’ordonnance d’expropriation ni les stipulations d’une cession amiable conclue entre l’expropriant et le propriétaire du bien n’ont pour objet de déterminer les conditions d’indemnisation et d’éviction du locataire. Dès lors, la circonstance que le transfert de propriété du bien loué soit opéré par une ordonnance d’expropriation ou par une cession amiable ne rend pas compte, au regard de l’objet de la loi, d’une différence de situation entre les locataires.

 

Et d’en conclure que l’expropriation d’un bien par voie de cession amiable ou par voie d’ordonnance d’expropriation a les mêmes conséquences sur les droits du locataire et sur son droit à indemnisation. Le Conseil a donc estimé que la différence de traitement ne se justifie pas par une différence de situation entre locataires d’un bien exproprié par voie de cession amiable ou pas voie d’ordonnance d’expropriation et que cette différence n’était pas justifiée par des raisons d’intérêt général.

 

 

En conséquence, le Conseil constitutionnel a conclu à la méconnaissance, par les dispositions de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation, du principe d’égalité devant la loi.

 

La déclaration d’inconstitutionnalité prendra effet au 1er mars 2022 pour permettre aux propriétaires et aux locataires d’un bien exproprié par la voie judiciaire de bénéficier de la possibilité d’obtenir le versement d’un acompte.