Par un arrêt très attendu, rendu le 18 février 2021, la Cour de Cassation a validé la conventionnalité des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, encadrant le régime d’autorisation de changement d’usage autre que celui d’habitation. Cette décision était attendue par près de 400 propriétaires assignés par la Ville de Paris dont le procès était suspendu dans l’attente de la décision de la Cour de Cassation. C’est désormais chose faite. 

Cour de cassation, 3ème civ., 18 février 2021, Cali Apartments, n°17-26.156

 

En l’espèce, un société, propriétaire d’un studio meublé situé à Paris, a été assignée en paiement d’une amende civile pour avoir consenti des locations « de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », sans avoir sollicité l’autorisation de changement d’usage autre que celui d’habitation, prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation (al. 1 et al. 6).

Or, en cas d’infraction à l’obligation d’obtenir une autorisation de changement d’usage préalablement à l’exercice d’une activité de location de meublé courte durée dans un local à usage d’habitation, l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation prévoit que :

« Toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 € par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, sur assignation de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal judiciaire compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local.

Sur assignation de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. A l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé.

Passé ce délai, l’administration peut procéder d’office, aux frais du contrevenant, à l’expulsion des occupants et à l’exécution des travaux nécessaires. »

 

Cette société a été condamnée par le juge de première instance, puis en appel, au paiement d’une amende, et elle a, à l’occasion de son pourvoi en cassation, soulevé la non-conformité des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation aux articles 9 et 10 de la directive 2006/123/CE (dite « directive services ») du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

 

Saisie de cette question, la Cour de Cassation a a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et sursis à statuer dans l’attente de la décision de cette juridiction.

 

Dans sa décision rendue le 22 septembre 2020, la CJUE a considéré qu’une réglementation nationale soumettant à autorisation préalable la location, de manière répétée, d’un local destiné à l’habitation pour des courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, est conforme au droit de l’Union Européenne (Voir notre actualité sur le sujet).

 

Fort de cette décision, la Cour de Cassation vient donc de répondre à la question suivante : Les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation sont-ils conformes aux articles 9 et 10 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ? 

 

S’agissant de la conformité de ce régime d’autorisation préalable avec l’article 9 de la directive, la Cour de Cassation a repris l’interprétation de la CJUE qui s’impose à elle et a jugé que l’article L. 631-7, alinéa 6, qui soumet à autorisation préalable le fait, dans certaines communes, de « louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et est proportionné à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante (telle que, par exemple, la limitation des nuitées disponibles à la location ou bien encore la mise en place d’une imposition spécifique destinée à rendre moins attrayante économiquement ce type de contrats), notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

 

S’agissant de la conformité de ce régime d’autorisation préalable avec l’article 10 de la directive, la Cour de Cassation a jugé que :

  • l’article L. 631-7, alinéa 6, précité répond aux exigences d’objectivité et de non-ambiguïté prévues par l’article 10 de la directive : se référant à la réglementation nationale , la Cour de cassation a estimé qu’une location de courte durée devait s’entendre de toute location « inférieure à un an ». Elle en a déduit que ce texte est suffisamment précis, en ce qu’il concerne la location à plus d’une reprise au cours
    d’une même année d’un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989.

 

  • l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation (qui confie au maire de la commune de situation de l’immeuble la faculté de délivrer l’autorisation préalable de changement d’usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées des compensations éventuelles, au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements) prévoit des critères qui sont justifiés par une raison d’intérêt général, qui satisfont aux exigences de clarté, de non-ambiguïté, d’objectivité, de publicité, de transparence et d’accessibilité de la directive et qui, tels que mis en oeuvre par la Ville de Paris dont le règlement municipal prévoit une obligation de compensation, sont conformes au principe de proportionnalité

 

Enfin, deux autres décisions rendues le même jour par la Cour de Cassation viennent apporter d’utiles précisions :

  • La Cour de cassation fait une interprétation stricte des textes et a jugé que le fait pour un bailleur de donner en location, à deux reprises au cours de la même année, un appartement meublé à usage d’habitation, pour des durées respectives de quatre et six mois, à deux sociétés pour y loger la même personne en qualité de salarié, caractérise un changement d’usage au sens de l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation (Cour de cassation, 3ème civ., 18 février 2021,Truszczynski, n°19-13.191).

 

  • Dans le cadre de l’application de la règlementation encadrant les changements d’usage, le code de la construction et de l’habitation prévoit qu’un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Par un arrêt du 18 février 2021, la Cour de cassation est venue préciser qu’un formulaire H2 rempli postérieurement au 1er janvier 1970 ne permet pas nécessairement d’établir l’usage d’habitation du bien à cette date et la Cour de cassation a jugé que les renseignements portés dans ce formulaire ne pouvaient être considérés comme décrivant l’usage du bien au 1er janvier 1970 sans qu’il soit précisé en quoi les réponses apportées établissaient l’usage d’habitation du local à cette date (Cour de cassation, 3ème civ., 18 février 2021, SCI Herlytte, n°19-11.462).