Le Conseil d’Etat vient trancher d’intéressantes questions sur les modalités d’exercice du droit de préemption urbain, tant en ce qui concerne l’application dans le temps d’une délégation consentie au Maire par le Conseil Municipal, qu’en ce qui concerne le périmètre de la préemption et la notion d’opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme (liaison directe Eglise <-> Mairie). 

Conseil d’État, 28 janvier 2021, Commune de Lacroix Saint-Ouen, n°429584

En premier lieu, le Conseil d’Etat est venu préciser les règles de délégation en matière de droit de préemption urbain.

En l’espèce, le maire de la Commune de Lacroix Saint-Ouen, avait, par délibération du 28 avril 2014 et pour la durée de son mandat, reçu délégation « d’exercer au nom de la commune les droits de préemption définis par le code de l’urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire ». Postérieurement, et par une décision du 8 juillet 2015, le Président de la Communauté d’Agglomération de la région de Compiègne a délégué à commune de Lacroix Saint-Ouen l’exercice du droit de préemption pour les parcelles en litige. Le 21 juillet 2015, le Maire de Lacroix Saint-Ouen a décidé de préempter les parcelles en litiges.

Les sociétés requérantes soutenaient, que, contrairement à ce qu’a jugé la CAA de Douai, la délibération du 28 avril 2014 constituait un fondement général et ancien (28 avril 2014) qui ne suffisait pas à fonder la compétence du Maire, dès lors que le Conseil municipal ne saurait être regardé comme ayant consenti à ce que le maire exerce en son nom des prérogatives qui n’existaient pas au moment où il lui a donné délégation (à savoir, la décision du Président de la CA de la Région de Compiègne du 8 juillet 2015 de déléguer son droit de préemption à la Commune).

Ce n’est pas ce qu’a retenu le Conseil d’Etat qui a jugé qu’un Maire est bien compétent pour exercer le droit de préemption urbain, dès lors qu’il a reçu une délégation générale par son Conseil municipal et qu’à la date de la préemption, la Commune était bien compétente en la matière :

« (…) la circonstance que cette délibération soit antérieure à la décision du 8 juillet 2015 par laquelle la commune de La Croix Saint-Ouen a reçu du président de la communauté d’agglomération de la région de Compiègne délégation pour préempter les deux parcelles litigieuses est sans incidence sur la compétence que le maire de La Croix Saint-Ouen tenait de la délibération du 28 avril 2014, pour toute la durée de son mandat sauf à ce qu’il soit mis fin à cette délégation, pour exercer au nom de la commune les droits de préemption définis par le code de l’urbanisme, pourvu que celle-ci en soit titulaire ou délégataire à la date de la préemption ».

En second lieu, et au fond, le Conseil d’Etat rappelle également qu’un collectivité ne peut procéder à la préemption partielle d’un terrain rattaché à une unité foncière, c’est-à-dire à un îlot de propriété d’un seul tenant (CE Sect., 23 juin 1995, Bouxières aux Dames, n° 128151), et qu’elle doit être justifiée, à la date de la préemption, par un projet réel répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme et poursuivant un but d’intérêt général, alors même que ses caractéristiques précises n’auraient pas été définies à cette même date.

Sur ce point, le Conseil d’Etat a jugé clairement que :

« 6. En estimant qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment de l’étude pour la redynamisation du centre-ville réalisée le 2 mai 2011, que le projet justifiant l’exercice du droit de préemption urbain consistait en la réalisation d’un cheminement piétonnier destiné à assurer une liaison entre la mairie et l’église, que la réalité de ce projet était établie et que l’opération en litige s’inscrivait dans le cadre du réaménagement du centre-ville, la cour a porté sur ces pièces, qu’elle n’a pas dénaturées, une appréciation souveraine. Elle n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que cette opération d’aménagement répondait à un intérêt général de nature à justifier l’exercice du droit de préemption et que la disproportion entre la surface nécessitée par le projet de liaison piétonne et la superficie du bien préempté n’était pas de nature à remettre en cause cet intérêt général eu égard, d’une part, à la circonstance qu’une préemption limitée à une partie seulement des parcelles sur lesquelles portait l’intention d’aliéner n’était pas légalement possible et, d’autre part, que le surplus du terrain était susceptible d’être utilisé pour des aménagements d’intérêt public. »