Le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions attendues sur le régime de droit transitoire prévu par l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale unique et considère que lorsque le juge est saisi d’une demande d’annulation d’une autorisation rendue au titre de la police de l’eau (IOTA), délivrée antérieurement au 1er mars 2017 , le régime de l’autorisation environnementale unique trouve à s’appliquer.

Ainsi, une autorisation IOTA intervenue avant le 1er mars 2017 peut être contestée au motif qu’elle n’incorporait pas, à la date à laquelle le juge statue, la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées requise, alors même que cette dérogation relevait, avant le 1er mars 2017, d’une police spéciale indépendante de l’autorisation IOTA.

Conseil d’Etat, 22 juillet 2020 n° 429610 (mentionné aux tables du Lebon)

I- Contexte législatif : le régime de l’autorisation environnementale unique et son application dans le temps

L’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale a institué une nouvelle procédure, dite « d’autorisation environnementale unique », en lieu et place des dizaines de procédures éparses que devaient suivre les porteurs d’un projet de construction ou d’aménagement susceptible d’impacter l’environnement.

Ainsi, la procédure d’autorisation environnementale unique se fonde, d’une part, sur une « autorisation pilote* » (IOTA, ICPE ou autres projets soumis à évaluations environnementales sans autres autorisations administratives emportant des mesures ERC) et, d’autre part, sur une ou plusieurs « autorisations suiveuses* » qui peuvent être rattachées à « l’autorisation pilote » en fonction de la nature du projet (défrichement, dérogations espèces protégées et habitats, sites Natura 2000, déchets, …), et ce, dans le cadre d’une procédure unique. (NB : les termes « autorisation pilote / suiveuse » sont tirées des très éclairantes conclusions de Monsieur le Rapporteur Public, Olivier Fuchs sous cet arrêt).

Cette refonte majeure de la procédure relative aux autorisations environnementales s’est accompagnée de plusieurs dispositions transitoires instituées selon différentes hypothèses listées à l’article 15 de l’ordonnance n° 2017/80 parmi lesquelles :

« Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes :

1° Les autorisations délivrées au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II (…), avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l’article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; »

Par sa décision du 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat vient éclairer l’interprétation de ces dispositions transitoires dans la configuration particulière où une « autorisation pilote » (« autorisation IOTA ») a été délivrée avant le 1er mars 2017, sans que « l’autorisation suiveuse » (« Dérogation espèces protégées ») ait été sollicitée.

II- Procédure contentieuse : Un « quasi-revirement » de jurisprudence guidé par l’évolution du droit applicable

II.1- A l’origine et en l’espèce, il apparaît que, dans le cadre d’un projet de travaux de reprofilage d’un ruisseau, la Communauté d’agglomération du Carcassonnais, a sollicité la délivrance d’une autorisation environnementale « IOTA » prévue au titre de la Loi sur l’eau. Par arrêté du 17 octobre 2011, le préfet de l’Aude a délivré l’autorisation sollicitée.

Cet arrêté a été contesté par un particulier, notamment au motif que celui-ci ne comportait aucune dérogation aux interdictions de destruction d’espèces protégées. Par un jugement rendu par le TA de Montpellier (8 mai 2014, n°1205035) confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (6 octobre 2016, n°15MA00417), les juges du fond ont considéré que l’arrêté contesté était illégal en ce qu’aucune dérogation aux interdictions de destruction d’espèces protégées n’avait été demandée ou octroyée. Il sera observé que ces décisions ont été rendues antérieurement à la réforme de l’autorisation environnementale unique du 26 janvier 2017.

II.2- Saisi d’un recours en cassation par la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, le Conseil d’Etat a, par une décision du 30 mai 2018 (n°405785), considéré qu’à la date à laquelle avait statué la CAA de Marseille, l’autorisation IOTA et la demande de dérogations au titre des espèces protégées relevaient de deux polices administratives indépendantes et que l’autorité compétente ne pouvait légalement subordonner la délivrance de l’autorisation IOTA (police de l’eau) à celle de la dérogation au titre des « espèces protégées » (police de la protection du patrimoine naturel). Par conséquent, le Conseil d’Etat a jugé que l’absence de la dérogation « espèces protégées » ne saurait avoir aucun impact sur la légalité de l’autorisation IOTA et qu’en jugeant le contraire, la CAA de Marseille avait commis une erreur de droit.

II.3- Sur renvoi après cassation, la Cour administrative d’appel de Marseille (8 février 2019, n° 18MA02603) a pourtant rejeté, à nouveau, l’appel de la ministre, mais sur le fondement des dispositions relatives à l’autorisation environnementale unique, entre-temps devenues applicables.

En effet et en matière d’autorisation environnementale, il appartient au juge du plein contentieux de la police de l’eau d’apprécier « le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce« .

Ainsi, et par l’effet d’une longue procédure contentieuse empruntant les voies de l’appel, de la cassation et du renvoi sur cassation, le juge administratif d’appel s’est retrouvé, in fine, à appliquer les règles de fond résultant de la réforme de l’autorisation environnementale unique du 26 janvier 2017.

Or, et au regard de nouvelles dispositions combinées de l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017 (les « autorisations pilotes » avec les « autorisations suiveuses » valent « autorisation environnementale »), et de l’article L. 181-2 du code de l’environnement (« autorisation environnementale » tient lieu de « dérogation au titre des espèces protégées »), il apparaît que le moyen en défense de la ministre tiré du principe d’indépendance des législations et ayant « sauvé » l’autorisation IOTA du 17 octobre 2011 doit, au regard de la nouvelle législation applicable, être considéré comme étant devenu inopérant. En effet, et puisque les autorisations en question, qui étaient autrefois dispersées entre différentes procédures et régimes, sont aujourd’hui agrégées dans le cadre d’une procédure et d’un régime unique, une autorisation de dérogation au titre des espèces protégées illégale (autorisation tacite en l’espèce) est susceptible d’entacher d’illégalité l’autorisation environnementale pilote (IOTA).

C’est pourquoi, en faisant applicable des nouvelles dispositions de l’autorisation environnementale unique, la CAA de Marseille n’a pu que constater, après avoir rappelé que l’autorisation environnementale IOTA tenait lieu de dérogation au titre des espèces protégées, que cette dérogation n’était pas justifiée au fond, puisqu’elle n’avait été ni sollicitée par la Communauté d’Agglomération, ni accordée par le Préfet de l’Aude.

Ce faisant, le juges d’appel ont considéré que l’illégalité de la dérogation accordée au titre des « espèces protégées » rejaillissait sur l’autorisation IOTA contestée. Partant, la CAA de Marseille a annulé, dans sa totalité, l’arrêté contesté du 17 octobre 2011.

III- Épilogue : Une autorisation environnementale unique mais divisible …

Saisi d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la CAA de Marseille le 8 février 2019, le Conseil d’Etat a eu de nouveau l’occasion de se prononcer sur ce litige, mais cette fois-ci, au regard des dispositions aujourd’hui applicables relatives à l’autorisation environnementale unique.

Le Conseil d’Etat valide le raisonnement de la CAA de Marseille et confirme que l’autorisation IOTA et la dérogation « espèces protégées » relèvent toutes deux du champ de l’autorisation environnementale,  et que la première tient lieu d’autorisation pour la seconde.

Néanmoins, et en application de sa jurisprudence Association Novissen du 22 mars 2018 (n°41585) relative à la divisibilité de l’autorisation environnementale, le Conseil d’Etat vient restreindre le périmètre de l’annulation prononcée par la Cour.

En effet, et selon les termes des conclusions de Monsieur le Rapporteur public sous cet arrêt, « il ne faut pas perdre de vue que l’autorisation environnementale comporte plusieurs parties correspondant aux décisions qui antérieurement étaient délivrées par des actes distincts et que ces parties sont divisibles. Dès lors, la cour administrative d’appel de Marseille nous paraît avoir commis une erreur de droit en confirmant l’annulation totale, par le jugement du tribunal administratif, de l’autorisation en litige. Elle aurait en effet dû procéder à l’annulation de cette autorisation uniquement en tant qu’elle ne comporte pas la
composante relative à la dérogation à l’interdiction de nuire aux espèces protégées et, par suite, prononcer la suspension de l’exécution des parties non viciées de l’autorisation environnementale
« .

Ainsi, le Conseil d’Etat « sauve » une nouvelle fois l’autorisation contestée en :

  1. annulant le jugement du TA de Montpellier et l’arrêt de la CAA de Marseille en tant qu’il ont prononcé l’annulation de l’arrêté du préfet de l’Aude du 17 octobre 2011, devenu autorisation environnementale, en ce qu’il autorise le projet au titre de la police de l’eau suspendant ;
  2. suspendant l’exécution de l’arrêté du préfet de l’Aude du 17 octobre 2011, devenu autorisation environnementale, en ce qu’il autorise le projet au titre de la police de l’eau, jusqu’à la délivrance de la dérogation prévue au titre des « espèces protégées ».