Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé sur la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations dite loi « anti-casseur ». Saisi avant la promulgation de la loi, il procède à une censure partielle des dispositions soumises à son examen. En particulier, il censure la disposition phare de la loi insérée dans le code de la sécurité intérieure, qui permettait l’interdiction administrative de manifester.

Décision Conseil Constitutionnel, 4 avril 2019, décis. n° 2019-780 DC

Le Conseil Constitutionnel avait été saisi par la voie de l’article 61 de la Constitution par 60 députés et 60 sénateurs, ainsi que, de manière originale, par le Président de la République sur l’examen de la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, adoptée dans le contexte de crise des « gilets jaunes », définitivement par le Sénat le 12 mars 2019.

Quatre articles de la loi avait été soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel, outre la contestation de la procédure d’adoption de la loi.

Dans sa décision du 4 avril 2019, le Conseil Constitutionnel a d’abord rejeté le grief tenant à la procédure d’adoption de la loi. Les députés requérants critiquaient en premier lieu cette procédure, jugeant le dépôt tardif et non respectueux de leur droit d’amendement, déplorant l’absence d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’État sur cette proposition de loi s’apparentant selon eux à un « projet de loi déguisé » et dénonçant l’absence de publicité d’un avis rendu par le Conseil d’État au gouvernement sur un amendement que celui-ci envisageait de présenter. Mais le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

Il censure ensuite l’interdiction administrative de manifester (article 3 de la loi). Centrée sur un individu donné, l’interdiction pouvait être ciblée, c’est-à-dire ne concerner qu’une manifestation déterminée (al. 1er), ou s’étendre à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée maximum d’un mois (al. 4). Elle devait être prononcée par le préfet (ou préfet de police pour Paris) du lieu de la manifestation ou par celui du lieu de résidence de la personne concernée.

Était principalement critiqué le critère autorisant le prononcé d’une telle interdiction. En effet, elle pouvait s’appliquer à toute personne constituant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, cette menace résultant de « ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens » ou de « la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations ». N’était donc pas exigé que l’individu ait réellement pris part à des violences ou à des dégradations de biens, de sorte qu’il existait un risque que l’interdiction frappe une personne s’étant trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

Le Conseil constitutionnel après avoir validé le principe d’une interdiction de participer à une manifestation, énonce que les dispositions laissent à l’autorité administrative « une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction ». Il relève par ailleurs que, dans l’hypothèse où la manifestation n’aurait pas été déclarée ou l’aurait été tardivement, « l’arrêté d’interdiction de manifester [serait] exécutoire d’office et [pourrait] être notifié à tout moment », et rappelle que l’interdiction peut aller jusqu’à viser l’ensemble du territoire pour une durée d’un mois.

Il en découle, pour le Conseil constitutionnel, que, « compte tenu de la portée de l’interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée ».

Il valide enfin les dispositions portant sur l’extension du pouvoir de réquisition du parquet (article 2 de la loi, permettant à des membres de la police judiciaire sur réquisitions du parquet, de procéder, sur les lieux d’une manifestation et à ses abords immédiats, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages ainsi qu’à la visite des véhicules), la création du délit de dissimulation du visage aux abords d’une manifestation (article 6 de la loi) et l’intégration de l’interdiction de manifester dans les obligations du contrôle judiciaire (article 8 de la loi).

En conséquence, sur les quatre dispositions soumises à son examen, une seule a fait l’objet d’une déclaration d’inconstitutionnalité. Les autres s’apprêtent à entrer en vigueur. En effet, la loi n’ayant pas fait l’objet d’une nouvelle délibération, elle a été promulguée le 11 avril 2019.