Le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles un contrat peut être qualifié de contrat de louage d’ouvrage et permet d’engager la responsabilité décennale du cocontractant qualifié de constructeur

Conseil d’Etat, 9 mars 2018, n° 406205

La commune de Rennes-les-Bains a décidé, en 2005, de faire réaliser des travaux de rénovation et de remise aux normes de la zone de soins de l’établissement thermal situé sur son territoire, dont elle était propriétaire.

Pour ce faire, elle a conclu en juin 2005 un contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage avec M. A. et un marché de maîtrise d’œuvre avec la société OTCE. Le 2 octobre 2006, elle a conclu un marché de travaux, dont le lot n° 6 plomberie et divers a été confié à la société Cegelec Perpignan. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 3 mai 2007 et le 15 mai 2007, après que la présence de bactéries a été constatée, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales a ordonné la fermeture de l’établissement jusqu’au 31 mai 2007 puis, de nouveau, à partir du 6 juillet 2007.

A la demande de la Commune, le Tribunal administratif de Montpellier a désigné le 16 novembre 2007 un expert qui a rendu son rapport le 19 octobre 2010. Sur la base de ce rapport, le 26 mars 2012, la Commune a demandé au Tribunal, sur le fondement, d’une part, de la responsabilité contractuelle des constructeurs et, d’autre part, de leur responsabilité décennale, de condamner solidairement M. A. et les sociétés OTCE Languedoc Roussillon et Cegelec Perpignan à lui verser la somme de 2 801 932 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de la fermeture des thermes de 2007 à 2010.

Par un jugement du 12 avril 2013, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande comme non fondée. Par un arrêt du 24 novembre 2014, la Cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel de la Commune contre ce jugement. Par une décision du 26 février 2016, le Conseil d’Etat a annulé cet arrêt en tant qu’il a statué sur la responsabilité décennale des sociétés OTCE Languedoc Roussillon et Cegelec Perpignan et a renvoyé l’affaire à la cour. Par un arrêt du 24 octobre 2016, objet du pourvoi, la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie comme juge de renvoi, a rejeté les conclusions de la Commune tendant à la condamnation des sociétés OTCE Languedoc Roussillon et Cegelec Perpignan sur le fondement de la responsabilité décennale au motif qu’elles étaient irrecevables.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé le principe selon lequel l’action en garantie décennale n’est ouverte au maître de l’ouvrage qu’à l’égard des constructeurs avec lesquels il a été lié par un contrat de louage d’ouvrage. Puis, il a relevé que le contrat d’AMO en litige prévoyait à :

  • l’article 1er de l’acte d’engagement et du CCAP que la mission confiée excluait formellement tout mandat de représentation du maître d’ouvrage dans l’exercice de ses prérogatives.
  • l’article 2 que l’assistant au maître d’ouvrage est l’interlocuteur direct des différents participants (il propose les mesures à prendre pour que la coordination des travaux et des techniciens aboutisse à la réalisation des ouvrages dans les délais et les enveloppes financières prévus et conformément au programme approuvé par le maitre d’ouvrage ; il vérifie l’application et signale les anomalies qui pourraient survenir et propose toutes mesures destinées à y remédier ; il assiste le maitre d’ouvrage de sa compétence technique, administrative et financière pour s’assurer de la bonne réalisation de l’opération ; il fait toutes propositions au maitre d’ouvrage en vue du règlement à l’amiable des différends éventuels).
  • l’article 3 relatif au contenu, à la définition et au phasage de la mission confie notamment au cocontractant une mission de direction de l’exécution des travaux et d’assistance aux opérations de réception.

Au regard de l’ensemble de ces stipulations, le Conseil d’Etat a jugé qu’un tel contrat revêtait le caractère d’un contrat de louage d’ouvrage et la qualité de constructeur devait être reconnue, dans la présente espèce, non seulement au maître d’œuvre et entrepreneur ayant réalisé les travaux, mais aussi à l’assistant de maîtrise d’ouvrage, lequel était en conséquence débiteur de la garantie décennale.