Sursis à statuer, régularisation des vices, annulation partielle en matière d’autorisation environnementale : précisions du Conseil d’Etat

Conseil d’Etat, Avis, 22 mars 2018, n° 415852

Par un arrêt n° 15DA01535 du 16 novembre 2017, la Cour administrative d’appel de Douai, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête pour avis au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen différentes questions relatives aux pouvoirs dont dispose le juge de l’autorisation environnementale, prévus par l’article L. 181-18 du code de l’environnement.

Le I dudit article prévoit que le juge peut, après avoir constaté que les autres moyens dont il est saisi ne sont pas fondés, soit surseoir à statuer pour permettre la régularisation devant lui de l’autorisation environnementale attaquée lorsque le ou les vices dont elle est entachée sont susceptibles d’être régularisés par une décision modificative, soit limiter la portée ou les effets de l’annulation qu’il prononce si le ou les vices qu’il retient n’affectent qu’une partie de la décision ou une phase seulement de sa procédure d’instruction.

Le II permet au juge de prononcer la suspension de l’exécution de parties non viciées de l’autorisation environnementale.

  • Sur le sursis à statuer: la combinaison des dispositions du 1° et du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement permet-elle à la juridiction administrative d’ordonner le sursis à statuer en vue d’une régularisation lorsque le vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation ou ces dispositions sont-elles exclusives l’une de l’autre ?

 Le 2° du I de l’article L. 181-18 permet au juge, lorsqu’il constate un vice qui entache la légalité de la décision mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit, par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi.

Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation, que le vice constaté entache d’illégalité l’ensemble de l’autorisation environnementale ou seulement une partie divisible de celle-ci.

Rien ne fait par ailleurs obstacle à un sursis à statuer dans le cas où le vice n’affecte qu’une phase de l’instruction, dès lors que ce vice est régularisable.

Dans tous les cas, le sursis à statuer a pour objet de permettre la régularisation de l’autorisation attaquée. Ce qui implique l’intervention d’une décision complémentaire qui corrige le vice dont est entachée la décision attaquée.

S’il constate que la régularisation a été effectuée, le juge rejette le recours.

  • Sur l’annulation partielle : les dispositions du II de l’article L. 181-18 du code de l’environnement concernant les cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant  » une partie seulement de l’autorisation environnementale  » sont-elles applicables lorsque le juge met en œuvre les dispositions du 1° en limitant la portée de l’annulation qu’il prononce à la  » phase de l’instruction  » viciée ‘ Dans le cas où ces dispositions ne seraient pas applicables dans un tel cas, peut-on faire application de la règle posée par la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux du 15 mai 2013 ARF n° 353010 concernant l’office du juge lorsqu’il annule une autorisation relative à l’exploitation d’une installation classée ?

Le 1° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement prévoit l’annulation partielle. Il a pour objet de rappeler la règle générale selon laquelle le juge administratif, lorsqu’il constate une illégalité qui n’affecte qu’une partie divisible de la décision qui lui est déférée, se borne à annuler cette partie (annulations limitées soit à une ou plusieurs des anciennes autorisations désormais regroupées dans l’autorisation environnementale, soit à certains éléments de ces autorisations à la condition qu’ils en soient divisibles).

Les dispositions du même alinéa qui prévoient l’annulation d’une phase de l’instruction trouvent à s’appliquer lorsque le juge constate un vice de procédure affectant la légalité de la décision et qui concerne une des trois phases de l’instruction de la demande définies à l’article L. 181-9 du code de l’environnement.

Ces dispositions permettent au juge d’indiquer expressément dans sa décision quelle phase doit être regardée comme viciée, afin de simplifier la reprise de la procédure administrative en permettant à l’administration de s’appuyer sur les éléments non viciés pour prendre une nouvelle décision.

Dans les deux cas, le texte prévoit que le juge peut demander à l’administration de reprendre l’instruction. Cette nouvelle instruction devra déboucher sur une nouvelle décision portant, en cas d’annulation totale, sur l’ensemble de la demande d’autorisation environnementale et, en cas d’annulation d’un élément divisible, sur ce seul élément

  • Sur la suspension des parties non annulées : dans l’hypothèse où la juridiction administrative se plaçant sur le terrain du 1° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, prononce une annulation limitée à une phase de l’instruction de la demande et enjoint à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase de l’instruction ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité, cette autorité administrative doit-elle nécessairement prendre une nouvelle décision à l’issue de cette procédure ?’ La juridiction peut-elle le lui ordonner ?

Le II de l’article L. 181-18 prévoit que le juge, en cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l’autorisation environnementale, détermine s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties non viciées de celle-ci.

Lorsque le juge prononce l’annulation d’une partie divisible de l’autorisation, il peut donc suspendre l’exécution des parties non annulées dans l’attente de la nouvelle décision que l’administration devra prendre sur la partie annulée.

Il en résulte également, d’une part, que le juge qui sursoit à statuer pour permettre la régularisation de l’autorisation a la faculté de suspendre l’exécution de celle-ci et, d’autre part, que lorsque le vice qui motive le sursis ne concerne qu’une partie divisible de l’autorisation, cette faculté concerne à la fois cette partie et les parties non viciées.

Lorsque le juge prononce l’annulation de l’autorisation dans son ensemble, y compris en ne se fondant que sur un vice n’affectant qu’une phase de la procédure mais entachant d’illégalité l’ensemble de l’autorisation environnementale, le II de l’article L. 181-18 est sans objet puisque l’autorisation attaquée n’existe plus.

Par ailleurs, lorsqu’il prononce l’annulation, totale ou partielle, d’une autorisation environnementale, le juge de pleine juridiction des autorisations environnementales a toujours la faculté, au titre de son office, d’autoriser lui-même, à titre provisoire, et le cas échéant sous réserve de prescriptions complémentaires, qu’il fixe lui-même et pour un délai qu’il détermine, la poursuite de l’exploitation, des activités ou des travaux en cause dans l’attente de la délivrance d’une nouvelle autorisation par l’autorité administrative.

Pour déterminer l’opportunité de telles mesures, le juge doit prendre en compte l’ensemble des éléments de l’espèce, notamment la nature et la portée de l’illégalité en cause, les considérations d’ordre économique et social ou tout autre motif d’intérêt général pouvant justifier la poursuite de l’exploitation, des activités ou des travaux et l’atteinte éventuellement causée par ceux-ci aux intérêts visés par les articles L. 181-3 et L. 181-4 du code l’environnement ou à d’autres intérêts publics et privés.

  • Sur la régularisation possible des vices : lorsque la mise en service de l’installation a eu lieu à la date à laquelle la juridiction administrative statue, y a-t-il encore lieu, au regard notamment des dispositions du 3° du I de l’article D. 181-15-2 du code de l’environnement, d’exiger la régularisation de cette phase de l’instruction alors que l’autorité administrative compétente est réputée avoir reçu, au plus tard à la date de cette mise en service, les éléments justifiant la constitution effective des capacités techniques et financières qui auraient pu manquer initialement au dossier. Si une telle régularisation doit continuer à être exigée, y a-t-il lieu d’ordonner une nouvelle enquête publique si le défaut d’information se situait à ce stade de la phase d’instruction ?

Lorsque le juge a sursis à statuer afin de permettre la régularisation d’un vice de forme ou de procédure affectant la légalité de l’autorisation, il appartient à l’autorité compétente de procéder à cette régularisation en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle la décision attaquée a été prise.

En revanche, lorsque la régularisation concerne un vice de fond, l’autorité compétente y procède en faisant application des règles en vigueur à la date de la décision complémentaire.

Par ailleurs, quand le juge a annulé la décision, que ce soit pour un vice de forme ou de procédure ou un vice de fond, la nouvelle décision doit être prise conformément aux dispositions en vigueur à la date à laquelle elle intervient.