L’article 121-3 du Code Pénal prévoit le principe général de la nécessité de « l’intention » en matière pénale :

« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre »

Cet article prévoit néanmoins des exceptions « lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (…) », il s’agit là des délits dits « non intentionnels ».

Toutefois, la jurisprudence de la Cour de Cassation, en matière d’infractions au Code de l’Urbanisme, ou encore en matière de prise illégale d’intérêt considère qu’il existe une « forte présomption d’intention coupable ».

Dans le « Guide d’application des dispositions pénales du Code de l’Urbanisme », établi par la Direction des Affaires Juridiques (mis à jour le 12 janvier 2023), il est ainsi précisé que « l’élément moral (ou intentionnel) de l’infraction réside dans la volonté ou la conscience de l’auteur d’un acte matériel de violer la loi pénale ».

La Cour de Cassation, (Cass. Crim., 12 juillet 1994, n° 93-85.262 ; Cass. Crim. 4 décembre 2018, n° 17-81.818), retient ainsi que « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1 , du Code pénal ».

Le Guide établi par la Direction des Affaires Juridiques de conclure « l’orientation prise par la Cour de Cassation semble consister à considérer qu’il existe une forte présomption d’intention coupable ».

En matière de prise illégale d’intérêt, la Cour de Cassation retient que « l’intention coupable de commettre le délit de prise illégale d’intérêt est caractérisée du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit ».

Pour écarter l’élément intentionnel et relaxer le Garde des Sceaux, la Cour de Justice de la République (Cour de Justice de la République, arrêt du 29 novembre 2023), a ainsi considéré que :

« Par ailleurs, l’instruction n’a pas recherché si la HATVP, chargée d’examiner, avant la nomination d’un ministre, si l’activité privée qu’il avait exercée avant la nomination envisagée risquait de le placer en situation de commettre l’infraction de prise illégale d’intérêts, avait été consultée avant le 6 juillet 2020. Il n’est pas davantage établi que M. [A]-[X] ait été alerté d’un tel risque avant le 7 octobre 2020, date à laquelle le président de la HATVP lui a adressé une lettre l’avisant des risques de conflit d’intérêts liés à l’exercice antérieur de son activité d’avocat, notamment à l’occasion de l’ouverture d’une enquête administrative visant les magistrats du PNF.

(…)

C’est pourquoi l’expérience de pénaliste de M. [A]-[X], le fait qu’il ait, de sa propre initiative, retiré sa plainte déposée le 30 juin 2020 et la connaissance de l’existence de situations objectives de conflit d’intérêts par les différentes autorités appelées à le conseiller (la conseillère justice du Président de la République, le conseiller justice du Premier ministre, la directrice de cabinet du garde des sceaux et son adjoint, le chef de l’IGJ) n’établissent pas la conscience suffisante qu’il pouvait avoir de s’exposer à la commission d’une prise illégale d’intérêt en ordonnant les enquêtes administratives litigieuses.

A défaut de caractérisation de l’élément intentionnel des délits de prise illégale d’intérêt, ces infractions ne sont pas constituées à l’encontre de M. [A]-[X] qui, dès lors, doit être relaxé ».

La Cour de Justice dans cette décision s’écarte donc de la terminologie retenue traditionnellement par la Cour de Cassation (« avoir accompli sciemment ») pour retenir la notion de « conscience suffisante ».

Comme le soulignait Maître Kiril Bougartchev dans une tribune dans « Libération » (« Libération », Mardi 5 mars 2024) : « la solution dégagée par la Cour de Justice de la République présente l’avantage de replacer au cœur du débat l’exigence de démonstration de l’élément moral de l’infraction pénale. Cette solution devra être transposée dans chaque situation et à l’égard de tous les justiciables, le principe d’égalité des citoyens devant la loi s’imposant à l’institution judiciaire ».

Reste à voir si les juridictions pénales « ordinaires » et notamment la Cour de Cassation suivront cette « ouverture » de la Cour de Justice de la République…

Vincent LACROIX

Avocat Associé