Par un jugement du Tribunal Correctionnel de Bonneville en date du 5 juin 2023, l’alpiniste de renom, Christophe Profit, a été condamné à une amende de 600 euros pour le vol de deux pieux installés par la Commune de Saint-Gervais-Les-Bains sur une voie d’accès au Mont Blanc pour des motifs de sécurité.

Tribunal Judicaire de Bonneville, 5 juin 2023, n°533/2023

Christophe Profit était poursuivi pour le vol de 4 pieux qui avaient été installés par la Commune de Saint-Gervais-Les-Bains, sur la voie d’accès, dite « normale », au sommet du Mont-Blanc, pour des raisons de sécurité. L’alpiniste considérait que ces pieux,  d’une part, encourageaient des alpinistes peu chevronnés à emprunter une voie dangereuse, les mettant en danger, alors qu’une variante plus sûre existe, et, d’autre part, que l’implantation de ces pieux ne correspondait pas à sa vision de la montagne et de l’alpinisme.

Si l’on peut s’interroger sur les motivations du ministère public d’avoir engagé des poursuites à l’encontre de Christophe Profit, alors même que la Commune de Saint-Gervais-Les-Bains ne s’est pas constituée partie civile, le jugement du Tribunal Correctionnel de Bonneville apporte d’intéressantes précisions pour retenir la qualification de vol et écarter les moyens de défense du prévenu.

Christophe Profit justifie l’enlèvement de ces pieux dans le cadre d’un geste militant, en contestant avoir commis un vol. Dans le cadre de sa défense, le prévenu a notamment fait valoir les notions « d’état de nécessité » et de « liberté d’expression » comme avaient pu le faire avant lui les « décrocheurs de portraits » du Président de la République.

Sur l’état de nécessité

L’article 122-7 du Code Pénal prévoit que « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Christophe Profit faisait valoir qu’il aurait enlevé ces pieux dans un but sécuritaire de protection des guides et des alpinistes.

Pour écarter ce moyen, le Tribunal Correctionnel a retenu que « l’existence d’un danger actuel ou imminent n’est pas démontrée, les allégations de Monsieur Profit n’étant corroborées par aucun élément de preuve » et qu’il « n’est pas démontré que le retrait de ces pieux constituait l’unique moyen d’éviter le péril et de permettre la sauvegarde d’une personne ou d’un bien ».

La circonstance que Christophe Profit ait agi seul, alors même que la décision d’implantation de ces pieux avait été prise de manière concertée entre la Commune de Saint-Gervais-Les-Bains et la Compagnie des Guides, rendait sa décision, solitaire, d’enlèvement de ces pieux, moins convaincante, sauf à avoir raison contre tous.

Sur la liberté d’expression

Dans l’affaire des « décrocheurs de portraits » du Président de la République, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 29 mars 2023 (Cour de Cassation, 29 mars 2023, n° 22-83.458), avait estimé que la relaxe des chefs de vols aggravés était justifiée par la protection de la liberté d’expression, telle qu’elle résulte de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La Cour de Cassation considère en effet que lorsqu’un prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression, il appartient au juge, après s’être assuré du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la condamnation. Ce contrôle de proportionnalité requiert un examen d’ensemble qui doit prendre en compte, concrètement, en autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé. La Cour de Cassation précisant, dans le cas d’une poursuite de chef de vol, que doivent notamment être prise en compte « la valeur matérielle du bien, mais également le cas échéant, sa valeur symbolique, ainsi que la réversibilité ou l’irréversibilité de dommage causé à la victime ».

Pour écarter le bénéfice d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du prévenu, le Tribunal Correctionnel de Bonneville a retenu que :

« En l’espèce, le fait d’incriminer le vol dans cette hypothèse ne saurait être considéré comme étant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression dès lors que Monsieur Christophe PROFIT disposait d’autres moyens de s’exprimer, qu’il pouvait notamment contester la décision du maire d’implanter les pieux devant les juridictions administratives ce qui lui aurait permis de faire valoir légalement son point de vue ce qu’il n’a pas fait.

Monsieur Christophe PROFIT ne justifie d’ailleurs pas davantage avoir tenté, avant de procéder à l’enlèvement les pieux, d’entrer en contact avec la mairie et ou la compagnie des guides, partie prenante à la décision d’implantation, pour leur faire part de son point de vue sur l’inutilité, voire la dangerosité, de l’installation des pieux, étant précisé qu’il a enlevé les pieux très peu de temps après leur installation.

De plus, il résulte des pièces produites aux débats que le coût d’acheminement des pieux et de leur installation ne saurait être qualifiée de modique.

Enfin, il ne saurait être valablement soutenu que le fait d’enlever les pieux était sans risque pour lui ou pour les autres utilisateurs de la montagne ».

Christophe Profit a déclaré avoir fait appel de ce jugement. A suivre…