Par un jugement en date du 1er avril 2021, le Tribunal administratif de Marseille a accueilli partiellement les requêtes de plusieurs associations environnementales dirigées contre la décision par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône a autorisé la société Total raffinage France à poursuivre l’exploitation de la raffinerie de Provence, comprenant la transformation de la raffinerie de pétrole brut en une bioraffinerie. Le Tribunal a en effet estimé que l’étude d’impact jointe au dossier d’autorisation était insuffisante au regard des effets climatiques induits par l’utilisation massive d’huile de palme.

TA Marseille, 1er avril 2021, n°1805238

Dans cette affaire, plusieurs associations environnementales étaient opposées à la poursuite de l’exploitation de la raffinerie de Provence et à sa transformation en bioraffinerie.

Une partie de l’argumentaire des associations requérantes tenait à ce que l’utilisation massive d’huile de palme dans les biocarburants présentait de nombreux effets néfastes pour le climat, effet qui n’avaient pas été intégrés dans l’étude d’impact, laquelle ne faisait état que des effets positifs de la production de biocarburants. Parmi ces effets néfastes, les associations requérantes avaient pointés le risque reconnu de changement indirect d’affectation des sols, dit « CIAS », qui est un phénomène qui se produit lorsque des cultures aux fins de la production de biocarburants, de bioliquides et de combustibles issus de la biomasse entraînent le déplacement de cultures traditionnelles destinées à l’alimentation humaine ou animale et que cette demande supplémentaire intensifie la pression qui s’exerce sur les terres et peut se traduire par une extension des terres agricoles vers des zones présentant un important stock de carbone, telles que les forêts, les zones humides et les tourbières, provoquant un surcroît d’émissions de gaz à effet de serre.

Il sera observé que ce risque n’est pas territorialisé mais est un risque global, quels que soient les lieux et modalités de production de cette huile végétale.

Par ailleurs, les associations requérants soutenaient que l’étude d’impact était également, et plus particulièrement, tenue de d’analyser les effets de la production d’huile de palme jusqu’en Asie et en particulier et Indonésie et en Malaisie.

Le Tribunal administratif de Marseille a suivi partiellement les associations requérantes en considérant que l’autorisation d’exploiter la bioraffinerie accordée à la SAS Total raffinage France était entachée d’une insuffisance de l’étude d’impact du projet s’agissant uniquement du point relatif à ses effets sur le climat, compte tenu de l’utilisation de quantités très substantielles d’huile de palme et de ses dérivés (les « PFAD » ou palm fatty acid distillates, qui sont des distillats d’acides gras) pour produire des biocarburants alors que le recours à cette matière première est particulièrement nocif pour l’environnement par rapport à d’autres composés oléagineux, notamment pour le climat et la biodiversité en raison notamment d’un risque reconnu de changement indirect d’affectation des sols générant déforestation et émissions de gaz à effet de serre, quels que soient les lieux et les modalités de production de cette huile végétale, ainsi que l’ont reconnu le législateur français et les institutions de l’Union européenne, en l’état des connaissances scientifiques (Voir communiqué de presse).

Extraits de la décision : 

« 50. Compte tenu de l’impact sur le climat que l’utilisation d’huile de palme dans la production de biocarburants est susceptible de générer et des quantités substantielles susceptibles d’être utilisées pour le fonctionnement de la bioraffinerie de La Mède, l’étude d’impact du projet devait ainsi comporter une analyse de ses effets directs et indirects sur le climat, notion qui ne saurait être entendue de manière strictement locale dans le seul périmètre immédiat du projet.« 

(…)

52. Toutefois, pour affirmer que le projet aura un effet sur le climat et la qualité de l’air nettement positif compte tenu d’une réduction des flux annuels de polluants et de la réduction des émissions atmosphériques, notamment de gaz à effet de serre, l’étude d’impact n’apprécie les effets du projet sur le climat qu’au regard de l’impact très local de la plateforme sur les émissions de gaz à effet de serre, les rejets atmosphériques et la qualité de l’air résultant de l’exploitation de la future plateforme. Elle ne fait pas état ni ne prend en compte à cet égard la capacité de fonctionnement annuelle de 650 000 tonnes par an de l’installation, susceptible, compte tenu de la rédaction de l’article 1.8.1 de l’arrêté litigieux, de fonctionner avec jusqu’à 450 000 tonnes par an d’huile de palme et 25% de la charge de l’installation de dérivés de cette huile (PFAD palm fatty acid distillates). Elle ne fait ainsi aucunement état, pour tirer un bilan exclusivement positif des effets du projet sur le climat résultant de l’abandon du raffinage de pétrole brut et de la conversion du site en bioraffinerie en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de ce que l’installation est susceptible de fonctionner majoritairement à base d’huile de palme et de ses dérivés et de ce que l’impact sur le climat résultant de la production même de cette huile, quel que soit par ailleurs son lieu de production, est plus néfaste que celui d’autres composés susceptibles d’être utilisés pour permettre la production de biocarburants sur le site et peut générer davantage d’émissions de gaz à effet de serre qu’il n’en résulte de la production de carburants fossiles. Si le dossier administratif de l’exploitant fait état d’un plan d’approvisionnement en huiles de la bioraffinerie, il ne fait pas état des impacts du projet sur l’environnement et en particulier sur le climat en ce qui concerne l’utilisation même d’huile de palme en quantités substantielles pour le fonctionnement de l’installation. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à soutenir que l’étude d’impact du projet est insuffisante s’agissant du seul volet relatif aux effets sur le climat.

53. Par ailleurs, la réponse de l’exploitant au commissaire enquêteur sur les questions posées par les associations au cours de l’enquête publique s’agissant de la déforestation induite, des émissions de gaz à effet de serre et du changement d’affectation des sols n’a pas permis d’éclairer davantage l’administration et le public et ne saurait pallier les carences de l’étude d’impact s’agissant du fonctionnement de l’installation projetée, principalement à base d’huile de palme ou de ses dérivés. L’insuffisance dont est entachée l’étude d’impact quant aux effets du projet sur le climat est ainsi de nature à avoir nui à l’information complète de la population et à avoir exercé une influence sur le sens de la décision, en ce qui concerne, notamment, l’édiction des prescriptions quantitatives, par le préfet. »