Le collège de déontologie du Conseil d’État était interrogé par un premier conseiller qui sollicitait son avis sur la pratique qu’il avait développée consistant à communiquer spontanément à « une ou plusieurs parties au litige » le texte de ses conclusions pour des affaires dont il jugeait qu’elles présentaient «un intérêt particulier (questions à trancher délicates et/ou longuement débattues) » postérieurement à la lecture du jugement.

Avis n° 2020/7 du 8 décembre 2020

Le rapporteur public, a pour mission d’exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l’instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement.

Il est acquis que, les conclusions du rapporteur public – qui peuvent d’ailleurs ne pas être écrites – n’ont pas à faire l’objet d’une communication préalable aux parties. Celles-ci ont en revanche la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l’audience, soit au travers d’une note en délibéré. Ainsi, les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué (CE, Section, 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du Pays de Martigues, n°352427).

Mais alors, quid d’une communication spontanée aux Parties du texte des conclusions après la lecture du jugement  ?

Bien que nous n’ayons jamais eu à expérimenter cette pratique, on imagine aisément la surprise de l’une des Parties recevant le texte de conclusions contraires, en tout point, à la solution retenue par la formation de jugement collégiale…

C’est donc logiquement que le Conseil déontologique considère qu’une telle pratique suscite de sérieuses réserves puisque :

 » Si le délai de recours n’est pas expiré ou si une instance d’appel ou de cassation est en cours, la communication des conclusions par le rapporteur public – dont l’office s’achève avec le prononcé des conclusions – va interférer avec la décision des parties de former ou non un recours ou avec l’argumentation développée à l’occasion de celui-ci. Plus gravement si, dans cette hypothèse, les conclusions sont spontanément communiquées à une seule partie il peut en résulter, de votre fait, une inégalité de traitement ou un manquement au devoir d’impartialité.Ces objections ne valent pas si la décision est devenue définitive.

Mais, même ainsi, cette communication risque d’être mal comprise des parties, et de les troubler si les conclusions diffèrent de la décision.

Aussi le Collège est-il d’avis que, de façon générale, un rapporteur public doit s’abstenir de prendre, sans en avoir été sollicité, l’initiative de communiquer aux parties le texte de ses conclusions. »

En résumé, il appartient aux seuls juges qui statuent sur l’affaire de décider s’ils suivent la proposition du rapporteur public ou s’ils adoptent un jugement en tout ou partie différent de la proposition du rapporteur public qui ne peut venir troubler  « l’équilibre » auquel sera parvenu la formation collégiale, à l’issue de son délibéré, par une communication spontanée du texte de ses conclusions à « une ou plusieurs parties au litige ».

Reste que les conclusions du rapporteur public lues lors de l’audience, étant parfois peu audibles, on peu légitimement s’interroger s’il ne serait pas pertinent, dans un objectif de bonne administration de la justice, qu’elles soient systématiquement adressées à l’ensemble des Parties lors de la notification du jugement, lorsque des conclusions écrites ont été prises dans le dossier évidemment.