Tribunal administratif de Toulouse, 25 novembre 2020, n°2005853, C+

On le sait, lorsqu’une offre déposée par un soumissionnaire arrive « hors délai », donc après la date et l’heure limite fixées dans les documents de la consultation, même si elle est accessible dans le profil acheteur, le pli est considéré comme tardif et doit, en conséquence, être rejeté par le pouvoir adjudicateur (Cf. pour une application stricte de ce principe : TA Dijon, 28 décembre 2018, Société Numéricarchive, n° 1803328).

Toutefois, ce principe doit-il prévaloir lorsque le manque de clarté des documents de la consultation a eu pour conséquence de « faire perdre » à un candidat une vingtaine de minutes avant le dépôt de son offre (11h10 / 11h42) ? Étant entendu que le jour dépôt des offres, la plateforme de dématérialisation connaissait probablement un dysfonctionnement technique, conduisant à ce que l’offre électronique de ce candidat soit intégralement reçue cinq minutes après l’heure limite de dépôt (12h00 / 12h05)…

C’est la délicate question de droit qu’était invitée à trancher, le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse, saisi par le Cabinet Itinéraires Avocats, dans les intérêts d’un candidat évincé d’une procédure avec négociation conduite par une entité adjudicatrice en application des articles L. 2124-3 et R. 2124-4 du code de la commande publique.

Pour ce faire, le Juge des référés commence par rappeler un principe acquis de longue date selon lequel un manque de clarté des documents de la consultation soumis aux candidats est constitutif d’un manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de mise concurrence (CE, 23 novembre, 2011, Département des Bouches-du-Rhône, n° 350519, Mentionné au Lebon).

Tel était le cas en l’espèce, dans la mesure où l’entité adjudicatrice avait soumis aux candidats admis à déposer une offre pas moins de trois liens URL différents pour télécharger leurs offres dématérialisées, le premier figurant dans le règlement de la consultation « phase offres », le second figurant dans « la lettre de consultation », le dernier (et le bon), généré automatiquement par la plateforme de dématérialisation de l’entité adjudicatrice.

Tout ceci conduit le Juge des référés à considérer, assez logiquement, qu’ : « il ressort des éléments du dossier qu’aucun de ces liens ne permettait en pratique aux soumissionnaires de déposer leur offre et que le lien à utiliser était celui précisé dans le message de la plateforme Y. Ainsi, en se contentant du message généré par la plateforme Y adressé à chaque soumissionnaire, Toulouse Métropole n’a pas fourni une information suffisamment claire et précise sur le lien URL à utiliser lors du téléchargement des offres alors qu’en tant que pouvoir adjudicateur il était seul compétent pour le faire. En conséquence, le pouvoir adjudicateur a manqué à son devoir d’information des soumissionnaires sur les conditions de régularité de leur offre, concernant tant leur contenu et leur forme que le lieu de leur dépôt au format électronique ».

Mais nous pensons que l’intérêt principal de cette affaire réside ailleurs dans la mesure où l’entité adjudicatrice opposait, en défense, que le manquement précité serait demeuré sans conséquence si le candidat évincé n’avait pas fait preuve « d’une imprudence caractérisée » en commençant le téléchargement de son offre « seulement » 50 minutes de l’heure limite au lieu de 24h00 comme le recommandent les conditions générales d’utilisation de la plateforme dématérialisation que les candidats devaient utiliser en l’espèce.

Ce moyen est intéressant car il soulève une question de droit, plus générale, relative au sort à réserver aux conditions générales d’utilisations du profil acheteur qui, sauf stipulations contraires, ne font pas partie des documents de la consultation et ne peuvent donc théoriquement interférer pour apprécier la régularité de la procédure de passation.

Accessoirement, on est en droit de se demander si l’acheteur public peut valablement opposer « le principe de précaution » à un soumissionnaire confronté à une défaillance technique évidente de son profil acheteur qui, d’après les expériences passées du candidat, ne nécessite habituellement que quelques minutes pour le dépôt d’une offre électronique d’une taille équivalente.

En l’espèce, le Juge des référés écarte le moyen non sans avoir considéré que « s’il est vrai que le Cabinet X n’a entrepris la transmission des documents de son offre que peu de temps avant l’heure limite de dépôt de celle-ci, l’objectif d’amélioration de la rapidité et de la facilité de l’accès à la commande publique, que poursuit la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics, s’oppose à ce qu’il soit fait grief à un candidat à l’attribution d’un marché public d’avoir pris le temps strictement nécessaire aux opérations matérielles de transmission par voie électronique des documents de son offre comme le délai normal d’acheminement de ces documents. Par ailleurs, il ressort de pièces du dossier produites par le Cabinet X que dans d’autres soumissions qu’il a pu faire, il avait déjà répondu par voie électronique en utilisant cette même plateforme de dématérialisation Y sans pour autant rencontrer de difficultés concernant le lien URL à utiliser ou le temps de téléchargement des fichiers, d’un poids similaire » (Cf. pour une décision antérieure retenant le même principe : TA Limoges 15 novembre 2010, SNC Infostance c/ Région Limousin, n°1001569, C+).

Après avoir fait « le lien » entre les deux principes précités, le Juge des référés considère qu’il « résulte de l’instruction que la cause du dépôt tardif de l’offre de la société requérante réside dans le temps perdu, plus de 20mn, à trouver l’adresse URL à utiliser dans le dépôt des offres, adresse qui ne figurait dans aucun document contractuel ».

Par suite, il juge que le candidat évincé était bien fondé à demander à ce qu’il soit enjoint à l’entité adjudicatrice, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché public, de la reprendre au stade de l’examen des offres en incluant son offre pour la soumettre à la commission d’appel d’offres.